Une revue à connaître d’urgence, l’AntiPresse de Slobodan Despot

Groupe témoin

Face au déferlement de la bêtise totalitaire, les remparts de la raison ne se trouveront ni dans les partis, ni dans les groupes, ni dans les mouvements, ni dans les programmes. Ils se trouveront dans l’éclosion individuelle, solitaire et impérieuse du sens de la vérité. L’affaire qui suit en est un indice.

Wouter van der Lelij est entrepreneur en Suisse. Excédé par la partialité de la télévision de service public dans le cadre d’une campagne de votation sur la loi Covid-19, il avait dénoncé en février dernier la RTS auprès de l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radiotélévision (AIEP)(1). Sa plainte ciblait en particulier l’émission « Mise au point » du 4 novembre 2021 intitulée « La haine avant la votation sur la loi Covid », qu’il estimait « symptomatique de la couverture unilatérale, alarmiste et polarisante de la RTS ».

Nous avons appris cette semaine, via le compte LinkedIn du plaignant, que l’autorité en question, par six voix contre trois, lui donnait raison. Dans le communiqué plutôt feutré de l’administration fédérale, on peut lire entre autres que : « …les membres de l’AIEP sont arrivés à la conclusion que les exigences particulières d’équilibre et d’impartialité découlant du principe de pluralité sont applicables aux émissions ayant un lien avec une votation populaire imminente. Cependant, vu que le reportage n’a pratiquement donné la parole qu’à des partisans des mesures Covid-19, il a véhiculé une image unilatérale des responsables de la dégradation du climat politique. »

En d’autres termes et sans tordre le sens de ces remarques, on peut dire que l’institution médiatique financée par le contribuable suisse a contribué par son travail unilatéral à aggraver la « haine » qu’elle semblait vouloir dénoncer. Le plaignant aurait pu avancer une myriade d’autres exemples dans le domaine concerné (la couverture de la pandémie de Covid-19), comme la succession de plateaux quasi monocolores de l’émission de débats Infrarouge, la surreprésentation d’« experts » anxiogènes liés à l’industrie pharmaceutique, l’occultation des conflits d’intérêts desdits experts ou encore l’obséquieuse absence de questions opportunes lors des conférences de presse des autorités sanitaires groupées autour du ministre Berset et de sa calamiteuse Task Force, dont les prédictions au sujet de l’évolution de la pandémie apparaissent a posteriori comme un catalogue d’exagérations orientées.(2)

Mais le plaignant et ses cosignataires ont eu la sagesse de se concentrer sur un cas concret encore que symptomatique et leur victoire est de taille. Elle jette le discrédit non seulement sur une émission particulière, mais sur une manière et un système : la manière et le système qu’ont certains médias de service public de prendre les citoyens pour des enfants qu’on intimide ou des oies qu’on gave avec des produits toxiques sciemment conçus à cet effet. Monter, à la veille d’un vote sur le vert ou le rouge, un panel d’avis ne défendant que la couleur verte (ou rouge), cela ne se fait pas par inadvertance, à moins bien sûr qu’on soit daltonien. Auquel cas l’on se met à l’assurance invalidité. En l’occurrence, personne n’y songe.

La partialité est un mode de fonctionnement normal et pour ainsi dire inconscient de ces rédactions, qui sont comme un navire où l’on aurait discrètement collé un aimant au flanc de la boussole. En entendant sa coque râper sur les récifs, le timonier tombe des nues ! De même, la reconnaissance officielle et administrative de cette malignité dans leur travail a dû laisser certains journalistes de fonction totalement pantois. Sur quoi, plutôt que de recevoir avec humilité et attention le signal fort qui leur a été adressé, ils se sont drapés dans leur bonne conscience et armés d’un avocat.

On appréciera au bas du communiqué la réaction arrogante de la RTS ainsi que le commentaire bien ciblé, mais détendu du plaignant à ladite réaction. La morgue impénitente et presque mécanique de cette réaction tranche singulièrement avec la richesse factuelle et humaine du communiqué du plaignant, qui mérite d’être médité ligne par ligne.

QUI EST FOU ?

Au-delà du fond de l’affaire, c’est la note personnelle qui attire l’attention et qui restera. Notons d’abord le profil du plaignant. Il eût été agréable pour la RTS d’avoir affaire à un quérulent désœuvré, un i-détective des causes occultes ou un marginal. Or son accusateur est une personnalité du monde de l’économie, un créateur d’entreprises reconnu qui a fondé des startups à succès comme agenda.ch et JobUP. Pas le genre de grincheux tatillon qui passerait son temps à houspiller les médias pour vider sa rancœur.

Mais voici, à son propos, l’information clef : « À l’annonce du verdict », écrit Wouter, « j’ai éclaté en larmes et j’ai quitté la salle. Je n’étais donc pas fou… »

Il se peut que l’homme d’affaires soit un peu trop émotif, mais l’incident n’est pas anodin. Il a donc fondu en larmes (quand d’autres, en cas de verdict inverse, eussent éclaté de rire), et a quitté la salle. Ses nerfs n’ont pas résisté à une révélation qui allait bien au-delà du cas administratif : non pas la révélation que le service public avait failli à sa tâche, mais la révélation qu’il n’était pas fou !

Voilà donc la conclusion essentielle de l’affaire Wouter van der Lelij contre RTS. La réaction spontanée de cet homme, honnêtement rapportée dans son communiqué, nous en dit plus long que le verdict administratif : les tricheries et les distorsions des médias de masse, de ceux en particulier qui servent de référence quotidienne et coutumière à des millions de citoyens non avertis, ne résultent pas seulement en une information tendancieuse et erronée qui ruine leur crédibilité. Sur ce point, le jury durant la délibération a suivi le plaignant lorsqu’il dénonçait « un grave manquement à l’objectivité journalistique ». Ces tricheries et ces distorsions conduisent en particulier chez les gens sensibles et sensés à une forme de schizophrénie entre ce qu’ils voient et comprennent et ce qu’on leur dit de voir et de comprendre. Combien, comme Wouter, ont fini par douter de leur raison, mais n’ont pas eu la présence d’esprit, la volonté ou la possibilité de la mettre à l’épreuve ?

En l’occurrence, la responsabilité du système que van der Lelij a démasqué va même au-delà de la complicité avec un coup de force sanitaire du « cartel de la peur » ayant conduit à une restriction injustifiée de nos libertés fondamentales par l’exploitation d’une panique surjouée. La responsabilité de cette fabrique d’opinion va jusqu’au harcèlement de masse en poussant les individus même les plus sains, les plus équilibrés et les plus efficients d’une société comme la nôtre à douter de leurs facultés mentales.

Qu’un individu aussi manifestement opérationnel que Wouter van der Lelij finisse par s’écrier « je n’étais pas fou » et fonde en larmes témoigne que les consommateurs de la narration médiatique dominante subissent une forme incontestable de violence. Un « professionnel » du débat médiatique ne se serait pas effondré à l’annonce de sa victoire, pas plus qu’un soldat de métier ne pleure de bonheur après avoir survécu à une attaque : la victoire pour eux est en quelque sorte l’issue attendue par défaut, sans quoi ils ne feraient pas ce qu’ils font. Pour Wouter, citoyen agnostique et novice en ces domaines, elle est traumatique, en ce sens qu’elle représente une libération presque miraculeuse.

Voilà en quoi le « cas » WvdL est précieux. Il m’a profondément impressionné parce que son engagement, ainsi que le contrecoup émotionnel qu’il a subi, représentent la version publique et officiellement « avalisée » de la révolte de milliers de citoyens dits ordinaires et anonymes. Chaque semaine, par les messageries sociales, par le courrier électronique ou la poste, je reçois des témoignages de gens en proie à la même exaspération et au même vertige : est-il possible qu’ils mentent autant, ou est-ce moi qui suis fou, ou folle ? Tant de lettres au rédacteur jamais publiées ni acquittées dont je ne sais que faire, tant de protestations sans écho, tant d’argumentations parfois fastidieuses et surchargées qui finissent directement à la corbeille. Il est plus aisé de faire face lorsqu’on s’est assuré que dans le système politico-médiatique le mensonge n’était pas l’exception, mais la règle. A l’Antipresse, nous appelons cela l’hypernormalisation. Mais pour arriver à cette conclusion, il faut brûler bien des certitudes et renoncer à bien des conforts. Et ceux qui suivent cette voie en arrivent facilement à se polariser dans un combat idéologique qui ne fait qu’aggraver le problème de la distorsion de réalité, plutôt que de le résoudre.

MÉTAMOUVEMENT

Face aux fictions hypernormalisées construites par le système politico-médiatique, la révolte des « citoyens ordinaires », agnostiques et non militants, incarne justement le rôle d’Antigone. Ils ne combattent pas le mensonge au nom d’une « autre vérité », mais parce que le mensonge, c’est le mensonge et qu’il n’y a pas à aller plus loin. Ces gens, comme Antigone dans la pièce de Sophocle, constituent un groupe témoin : ils rappellent que la vérité n’est pas la résultante d’une pesée d’intérêts et d’une lutte de pouvoirs, mais qu’elle existe en soi.

Le groupe témoin est constitué justement de personnes comme lui, comme Wouter. Ce n’est pas un mouvement, mais un métamouvement, un réseau de liens humains structuré par des qualités d’énergie plutôt que par des causalités — l’antithèse en somme de la bêtise quantiquement synchronisée qui gangrène la société de masse dont je parlais dans la dernière édition (AP343). Il relie entre eux des esprits éveillés de tous bords, de tous milieux culturels et de toutes opinions. Et il dessine en creux la tempête de décervelage totalitaire qui s’acharne à éradiquer toute liberté de pensée dans le monde, et dont nous ne savons même pas encore exactement le nom. Nous sentons seulement que ce passage du communiqué de WvdL évoque des résonances précises et effrayantes, remontées tout droit d’un passé obscur que nous croyions révolu : « Je sais que mes observations sur ces dérives orwelliennes médiatiques sont partagées par des centaines de milliers d’autres citoyens, y compris par des journalistes et au moins par un producteur au sein même de la RTS. Ces collaborateurs de la RTS, qui ont pris contact avec moi ici sur LinkedIn et avec qui j’ai ensuite échangé, m’ont témoigné leur désarroi face à une ambiance “soviétique” et d’“auto-censure” inédite. »

Avec le déchaînement de la bêtise normée que nous observons dans tous les domaines — sanitaire, culturel, sociétal, politique — le rôle des groupes témoins deviendra critique. Heureusement, de par leur nature même, qui est agnostique, quantique et décentrée, ces îlots de raison et de témoignage sont indestructibles.

POST-SCRIPTUM
« Ma démarche est plutôt positive. Plutôt que de détruire, je souhaite améliorer les choses et je prends ma responsabilité de citoyen pour essayer d’y contribuer. » (WvdL)

NOTES
1. On ne peut saisir l’AIEP que pour une émission particulière. L’aspect « symptomatique » de cette émission précise dans le contexte d’une couverture généralement partiale de la pandémie n’était pas pris en compte. L’AIEP s’est bien exprimée uniquement sur cette émission. Elle n’est pas compétente pour juger d’une tendance générale.
2. Ces deux derniers points ont été notamment épinglés avec beaucoup de sérieux par Catherine Riva et Serena Tinari de ReCheck. Voir Catherine Riva & Serena Tinari : « Médias suisses et coronavirus : cesser de nourrir la peur », AP227 | 05/04/2020 ; COVID19 • En Suisse, la prévention tourne à la farce, AP240 | 05/07/2020 ; « Suisse : le cartel de la peur livre des aveux complets », AP323 | 06/02/2022.

L’Antipresse

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1 réponse à Une revue à connaître d’urgence, l’AntiPresse de Slobodan Despot

  1. Mainguy dit :

    Existe-t-il Antipresse en papier?

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