Castellani et Audouard , les essentiels

Pour souligner l’importance de la découverte de Leonardo Castellani, je vous propose un second article, celui du Père jésuite Jean-François Thomas, sur La Vérité et le Néant, cette nouvelle anthologie de textes présentée par Erick Audouard aux éditions Artège.

Article paru dans le remarquable bi-mensuel, L’Homme Nouveau.

Recension « La Vérité ou le Néant », Leonardo Castellani, Prologue, choix de textes, traduction, notes et notice biographique par Erick Audouard, Paris, Artège, 2021, 325 p., 21,90 €

Lorsqu’un écrivain de la trempe de Leonardi Castellani nous rend visite, mieux vaut dérouler aussitôt le tapis rouge car les occasions sont trop rares. Nul risque d’ailleurs de découvrir ses ouvrages aux devantures des librairies de maisons d’édition en vogue vendant, non plus du rêve, mais de la décérébration, tout simplement parce que les empoisonneurs ne fourniront jamais l’antidote. Erick Audouard, depuis des années maintenant, défriche dans l’œuvre considérable de ce géant de la plume argentine et sud américaine. Il avait livré, en 2017, un premier recueil de textes choisis, Le Verbe dans le sang, qui ne peut que retourner et revigorer les sangs lymphatiques contemporains. Cette fois, un nouveau pot-pourri, La Vérité ou le Néant, confirme l’impression première du lecteur qui n’a pas la chance de puiser directement dans les multiples éditions en castillan : Castellani est un prophète eschatologique dont les rugissements d’agneau blessé retentissent comme ceux d’un Bloy, son ancêtre littéraire, d’un Bernanos, d’un Thibon, dont les apostrophes sont nourries du lait biblique d’un Jérémie ou d’un Jonas, du miel sauvage des Pères de l’Église en combat serré face aux hérésies et à la décadence des peuples. Rien de plus actuel et de moins daté que ces textes, articles de revues, de journaux, conférences ou discours. Ce prêtre jésuite, persécuté sans fin par la hiérarchie religieuse, par la Compagnie de Jésus, par des forces laïques très en phase avec les censeurs ecclésiastiques, – ou plutôt l’inverse-, tint bon dans sa soutane, dans sa solitude misérable, dans le filet grouillant de ses intuitions apocalyptiques. Une telle parole abrasive relativise grandement les victoires successives des pouvoirs de ce monde. N’écrit-il pas d’ailleurs : « Plus d’une cicatrice orne mon cuir. Mais Dieu ne demande pas que nous vainquions, seulement que nous ne soyons pas vaincus… » La nuance est de taille et elle permet de replacer à leur juste place les statues couronnées de notre époque. Bien des combats perdus sont en fait des apothéose à l’aune de l’éternité. Seule une époque recroquevillée sur elle-même et sur son temps étriqué ne peut plus comprendre que les vainqueurs sont ceux qui ne cèdent rien de la Vérité révélée et qui se laisseront conduire au supplice sans rien renier. Castellani est de ceux-là et ses ennemis, souvent emplis d’onction, profitèrent de ce qu’ils considérèrent comme une faiblesse alors qu’elle était force évangélique, sans réserve et sans sommation. Le talentueux « inventeur » et traducteur de Castellani a choisi de centrer cette publication sur la Vérité justement : Vérité sur le monde, Vérité sur soi et Vérité de Dieu (et non point sur Dieu comme nous avons parfois la tentation de le croire). Quelques thèmes reviennent en boucle autour de ce sujet central : la décadence, l’Antéchrist, le pharisianisme, le parodique, non point comme un simple constat d’échec mais pour rebondir aussitôt vers l’horizon où l’étendard de la victoire flotte depuis le matin de la Résurrection. Les esprits forts, avec leurs mines et leurs attitudes, auront beau jeu de classer Castellani parmi les pessimistes, d’autant plus qu’il chérit celui qu’il nomme toujours en danois, Kirkegord (Kierkegaard), le pasteur tourmenté par un luthéranisme démoniaque. Dommage pour eux, mais leur accusation tombe à plat car Castellani aime la vie puisqu’il a la foi, mais, comme il le précise, la foi c’est la mort, celle qui débouche justement sur la résurrection et non point celle que redoute notre monde païen et jouisseur. Il faut lire et relire, méditer, décortiquer, cette lettre somptueuse, longue missive adressée à Leónidas Barletta, écrivain communiste, en 1953, réponse au soutien moral dont ce dernier l’assurait alors que le religieux était la proie des plus vives persécutions cléricales. Cet Idéal communiste ou idéal chrétien est une hymne paulinienne sous forme d’exercices de style rebrodant à partir d’une prémisse identique. Castellani n’y va pas avec le dos de la cuillère et remue le chaudron pour composer une mixture en défense de la foi et comme programme pour une vie authentiquement chrétienne. L’humour, comme toujours, ne manque pas, et cela fait du bien de lire un auteur vraiment catholique qui ne partage pas l’horrible pesanteur et manque d’originalité de ceux qui suivent la ligne verte chère à un certain milieu ecclésiastique au pouvoir. Castellani diagnostique parfaitement les maux du temps mais il continue de considérer à juste titre que le chrétien possède, par grâce, tout ce qui est nécessaire pour demeurer sur le champ de bataille, même ensanglanté et agonisant. Un immense chambardement est nécessaire et le remue- ménage est notre tâche : « Je préférerais de beaucoup que le Christ fasse lui-même le ménage. Si les chrétiens ne se décident pas à passer le balai, l’Antéchrist le passera à leur place. Et quand je dis “balayer”, je pense laver à grandes eaux. Alors tu n’as qu’à commencer par te laver toi-même. Entendu. Écrivant de nuit cette lettre, je commence à le faire ». Voilà qui remet les pendules à l’heure. La grande lessive du grand soir commence par sa propre toilette. Chaque homme marche dans sa nuit et a besoin de se débarbouiller pour apparaître présentable à l’aurore qui ne cessera point. Castellani ne s’arrache pas sans cesse les cheveux au spectacle du monde, puisqu’il est sans illusion sur son devenir. Il ne se raccroche pas dans les branches fragiles de pseudo prophéties et de promesses faites aux nations par des voyants douteux. Il rejette un Christ qui ne serait qu’un concept. Il redit, à la suite du Sauveur incarné, qu’il faut risquer sa vie, la perdre, pour en gagner une aux dimensions de l’éternité. L’Agneau de Dieu est le Lion de Juda. Cet Agneau n’est pas bêlant, Il est rugissant, en Galilée, en Judée et dans toutes les contrées où sa Parole retentit et est mise en pratique. Castellani nous donne de superbes pages sur saint Thomas d’Aquin, ce bœuf qui n’a de la placidité que l’apparence. Il aime le « Moyen Âge énorme et délicat » chanté par Verlaine car cette époque fut l’écho éminent de la Voix salvifique qui poussa son premier cri à Bethléem. Il aime les siècles où le cliquetis des armes spirituelles ne s’éteint jamais. Castellani n’est pas l’homme des cessez-le-feu et des armistices. « Tant qu’il reste quelque chose à sauver » est son motto, sa devise, son refrain ruminé, comme tout bon soldat de Dieu qui se respecte et ne traite pas les enfants du Bon Dieu pour des canards boiteux. Il harangue : « Mes amis, tant qu’il reste quelque chose à sauver – avec calme, prudence, réflexion, paix et fermeté, en implorant la lumière divine- nous devons faire ce que nous pouvons pour le sauver. Et quand il ne reste plus rien à sauver, l’âme est toujours là qu’il faut encore qu’on sauve ». Voilà ce que tant de clercs, de religieux, de politiciens, de chefs, d’hommes ont oublié. Castellani mérite qu’on l’embrasse sur les deux joues et qu’on lui serre la main pour ébranler notre peur ou notre quiétude.

P. Jean-François Thomas s.j.
Vigile de l’Ascension
12 mai 2021

Ce contenu a été publié dans Littérature, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *