Jean Clair au parvis des Gentils par Christine Sourgins

“Culte de l’avant-garde et culture de mort”

Intervenant à l’Institut de France dans le cadre du Parvis des Gentils, l’académicien Jean Clair choisit de traiter, sans langue de bois ni de buis, d’un épineux sujet : le culte de l’avant-garde… dans nos églises. Devant le président du Conseil pontifical pour la culture, le cardinal Gianfranco Ravasi, l’historien de l’art a sonné la charge contre l’irruption de « monstruosités » dans les sanctuaires chrétiens. Florilège.

Conservateur général du patrimoine, essayiste, historien de l’art, Jean Clair est de ceux qui ressentent la réalité de « preuves esthétiques » de l’existence de Dieu : « Dieu est, dit-il, parce que toute la création témoigne de son œuvre et que cette œuvre est belle ». Mais l’œuvre de la création est aussi une loi éthique : « Il n’y a que l’homme à pouvoir humilier la beauté […] : nous avons pouvoir de sublimer ou bien au contraire de “vilifier” les sensations qui entrent par les portes de notre chair. »

Pour Jean Clair, « la religion catholique est invinciblement une religion du visible, de la chair et du corps, et elle est nécessairement une religion de la beauté du visible. Elle réclame l’image à l’opposé d’autres fois qui refusent l’image ou bien qui ne l’acceptent que sous des formes monstrueuses ».

Formes monstrueuses

D’où vient donc que ces « formes monstrueuses » trouvent désormais leurs places dans des sanctuaires chrétiens ?

Jean Clair ne récuse pas l’approche moderne de la culture :

« L’anthropologie freudienne, explique-t-il, a élaboré un concept qui se rapproche curieusement [des] processus de la spiritualité chrétienne ; c’est la sublimation. En deux mots, le processus de la sublimation repose sur la maîtrise des passions dont l’humain est la proie mais dont l’énergie érotique est alors dérivée vers des productions intellectuelles ou artistiques dont l’ensemble constitue ce que nous appelons aujourd’hui la “culture”. Le passage de l’analité à la sexualité, la sortie du cloaque chez le nourrisson vers la génitalité de l’enfant, est le premier pas de l’homme civilisé. »

Or Jean Clair, comme beaucoup d’auditeurs, fut surpris d’entendre déclamer un texte du poète américain Ginsberg, bien peu civilisé : c’était « à Notre Dame de Paris, lors du carême 2008, par le Commissaire, au Centre Pompidou, d’une exposition confuse quant à son approche intellectuelle, mais surtout perverse quant à son approche morale, qui s’est appeléeTraces du Sacré ». Surpris aussi de voir ce chantre « des joies d’une génitalité fixée au stade anal comme celle des enfants qui exposent et leur sexe et leur cul [1], devenir conseiller d’une antenne culturelle de l’Église à Paris, flanqué d’un théologien et d’un conservateur autoproclamé des musées de France, pour faire s’y succéder des œuvres décidément bien éloignées, me semble-t-il, de celles que célébrait saint Augustin ».

Iconoclasme

« Dans le rôle du Gentil qui m’est ici assigné, frissonnant sur le parvis et interdit d’entrer dans le sanctuaire, je ne peux guère m’ériger en gardien du Temple » prévint-il, mais « en tant qu’historien de l’art, je me dois cependant de tenter de comprendre la signification de ces manifestations culturelles qui prétendent accompagner désormais le culte divin, et de lire les écrits qui prétendent les justifier. […] Je suis sorti de ces lectures, où la culture de l’immonde et du scandale, prétend venir éclairer le culte traditionnel, moins épouvanté que consterné. »

Après avoir brandi l’art abstrait comme une forme larvée d’iconoclasme, l’Église s’en est remis effrontément aux icônes, or « l’icône orthodoxe est, rappelle l’historien, fondée sur une théologie fort différente de la théologie catholique ». Puis « l’Église s’est laissée fasciner par une avant-garde jusqu’à prétendre que l’immonde et l’abomination offerts à la vue par ces artistes, étaient les meilleures portes d’accès à la vérité de l’Évangile ».

Jean Clair n’est pas théologien mais, historien des formes, il constate que « le sang est présent dans le catholicisme. Les larmes, et même, dans la piété populaire, le lait de la vierge ». Mais dans ce cas, humeurs et sécrétions ne sont pas simplement exposées à la vue des fidèles ou représentées in corpore vili, mais elles sont toujours « porteuses d’un sens qui relève du sublime ».

« Le catholicisme me semble avant tout une religion, non pas du détachement, ni de la conquête, ni d’un Dieu jaloux, mais une religion de la tendresse, [issue] de la contemplation et de l’adoration d’un enfant qui naît, elle se fortifie de la vision d’un homme qui ressuscite. Entre ces deux moments, la Nativité et Pâques, elle n’a cessé de lutter contre “la culture de la mort”, comme elle le dit si justement. Ce courage, cette obstination, rendent d’autant plus incompréhensible sa tentation de défendre des œuvres qui, à mes yeux, aux “portes de ma chair”, ne sentent que la mort, et le désespoir. »

Et l’auteur de L’Hiver de la culture (Flammarion) de conclure : « Un Dieu sans la présence du Beau est plus incompréhensible qu’un Beau sans la présence d’un Dieu. »

“Piss Christ”

Ce discours tombe à point nommé, à l’heure de l’exposition « Je crois aux miracles » organisée en Avignon autour de l’œuvre d’Andrés Serrano : la photo d’un crucifix plongé dans de l’urine. Les affiches de ce Piss Christ parsèment la ville, l’exposition est officielle, le ministère de la culture, une mairie UMP, le conseil régional PS ainsi que le groupe LVMH la cofinancent.

Les chrétiens s’émeuvent et pétitionnent sur le net, mais ces indignations ne mentionnent pas l’essentiel : Mgr Albert Rouet, alors évêque de Poitiers, a fait l’éloge de Piss Christ dans son livre L’Église et l’art d’avant-garde (Albin Michel, 2002). Or il n’y a pas eu de repentance de sa part ni de ses confrères. Cette œuvre de 1987 avait en Amérique provoqué ce qu’on a appelé les « guerres culturelles » : fallait-il que la puissance publique finance des expositions blasphématoires ou choquantes ? Les USA mirent plusieurs années à répondre : non. En France, le débat n’a même pas commencé ; il est mort-né, Mgr Rouet et quelques autres ayant donné leur bénédiction.

Jean Clair, citant justement Serrano et Mgr Rouet, s’en étonnait. Comme d’autres historien(ne)s avant lui [2]. Souhaitons que sa qualité de « Gentil », lui permette d’être écouté des clercs. Quand aux historiens d’art qui reconnaissent l’Église pour mère et qui voulurent l’éclairer sur l’art très contemporain, ils se sont vu attribués, sans la moindre discussion, l’étiquette de « méchants ».

Christine Sourgins   blog 12 Avril 2011

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