Jeanne est arrivée à Saint Petersbourg

Grace à la persévérance du sculpteur, Boris Lejeune, de l’association des amis de Jeanne d’Arc, des amis de Boris à St Petersbourg , de la municipalité elle même…

 

Boris Lejeune. Jeanne d’Arc rue Soviétique

Une statue de la sainte catholique française Jeanne d’Arc a été érigée à Saint-Pétersbourg

Début septembre, Saint-Pétersbourg s’est enrichi d’un monument supplémentaire, très inhabituel. Juste au centre de la rue Soviétique près du théâtre des Enfants sur la Neva on a inauguré une sculpture représentant la sainte guerrière catholique Jeanne d’Arc qui tient un étendard dans sa main droite et fait un pas en avant et vers le haut, comme si elle s’avançait à la rencontre de Dieu. Le piédestal, de bronze comme la statue, porte des inscriptions en russe et en français indiquant que ce monument à l’héroïne nationale française, Sainte Jeanne d’Arc (1412-1431) « est un don fait à la Russie par ses amis français comme symbole d’une longue amitié entre nos deux peuples ». Les passants curieux examinent la statue avec un étonnement non dissimulé et la photographient sous tous les angles avec leurs smartphones.  Nous avons ici la chance exceptionnelle de faire la connaissance de son auteur, le célèbre sculpteur français Boris Lejeune qui a aimablement accepté de répondre à nos questions.

Comment est née cette idée ? Comment la figure de l’héroïne nationale française s’est-elle retrouvée au centre de Saint-Pétersbourg ?

Cette figure de Jeanne d’Arc aux yeux d’un large cercle de patriotes catholiques français est la représentation d’un lien avec l’orthodoxie russe. La France et la Russie ont été des alliées durant les deux conflits mondiaux du siècle dernier, or Jeanne d’Arc n’est pas seulement une sainte, mais le symbole d’un exploit militaire. C’est là le motif essentiel de ce don. Plus concrètement, l’idée a vu le jour de la manière suivante. Mon ami Victor Moskvine est le directeur de la Maison de l’émigration russe Soljenitsyne à Moscou, je le connais depuis l’époque où il commençait seulement à créer ce centre. Il s’occupe des problèmes de l’émigration russe du XXe siècle dans différents pays. Moskvine a d’abord fondé une petite bibliothèque qui par la suite, grâce au soutien d’Alexandre Soljenitsyne, est devenu la Maison de l’émigration. Lors d’un déplacement à Paris, il est venu me voir dans mon atelier. Je venais justement d’achever une statue de Jeanne d’Arc destinée à sa région natale : elle a été érigée à l’Ermitage de Bermont, à côté de Domrémy, à l’occasion du six centième anniversaire de sa naissance, en 2012. Cette statue est la seule grande sculpture de Jeanne créée pour célébrer cette date et elle a recueilli les éloges du public français, ce qui n’a rien d’évident. L’image de Jeanne d’Arc s’est cristallisée au cours des siècles à travers des œuvres majeures. Mais je ne voulais pas m’inspirer des variantes déjà existantes. L’idée de ma sculpture est née peu à peu. Elle a eu beaucoup d’échos en France parmi les cercles pour lesquels l’image de Jeanne d’Arc est toujours actuelle. En premier lieu les cercles religieux catholiques, puis les cercles aristocratiques. Pour la plupart de leurs représentants, le christianisme demeure bien vivant ! Moskvine a observé mon travail dans mon atelier et m’a demandé si je pouvais faire encore un petit bronze de Jeanne d’Arc pour la Maison de l’émigration russe. Deux jours plus tard, j’ai dîné avec Sixte Bourbon Parma, descendant des Bourbons. Le plus proche de Louis XVI, mais par la lignée maternelle, aussi ne peut-il être officiellement considéré comme héritier des Bourbons selon la loi salique. Je lui en ai parlé. Et dans un élan de son cœur généreux, il a déclaré : « Ce n’est pas une petite copie de Jeanne d’Arc qu’il faut faire, mais une grande statue, et la placer au centre d’une grande ville russe. L’offrir à la Russie ». Cette idée m’a parue fascinante, mais ce n’était pas mon idée au départ, c’était celle du prince ! Lui-même est très malade actuellement, mais c’est un grand connaisseur et un amoureux de la Russie : il s’y est rendu à de nombreuses reprises pour faire des conférences. Pour lui, la guerre napoléonienne est un événement fort regrettable. Il considère que les Anglais se sont toujours immiscés entre la Russie et la France pour empêcher leur alliance. Cette idée a donc pris racine et s’est développée, et elle a été reprise par les membres de l’Association universelle des amis de Jeanne d’Arc qui compte plusieurs milliers de membres en France. Nous avons rencontré Alekseï Kovalski, diplomate de souche qui parle parfaitement le français. C’est été le conseiller politique d’Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France. Kovalski s’est également enthousiasmé pour ce projet et en a fait part à Orlov qui nous a bientôt invités à le rencontrer. Orlov et Kovalski, il est vrai, voulaient placer Jeanne d’Arc à Moscou, mais les Français tenaient à l’ériger à Saint-Pétersbourg, capitale impériale qui pour tout européen qui a eu l’occasion de fouler les rives de la Neva représente un véritable miracle, une vision mystique. Dix jours plus tard, quand Vladimir Poutine s’est rendu à Paris en octobre 2015, Orlov a commandé une photographie de ma statue de Jeanne d’Arc et l’a montrée à Poutine, en expliquant que des amis français voulaient offrir cette sculpture. Poutine a donné son aval. Des lettres ont été adressées à Poutine et Narychkine, tout le monde était d’accord, mais on nous a dit que la décision finale appartenait à la mairie de la ville. Qu’on suive à ce point la loi à lettre en Russie m’a grandement surpris.

Alexeï Iourievitch Mechkov, l’ambassadeur actuel de la Fédération de Russie en France, nous a beaucoup aidés. A l’époque il était vice-ministre des Affaires étrangères et s’est employé personnellement à convaincre Gueorgui Poltavtchenko, alors gouverneur de Saint-Pétersbourg.

Puis nous avons dû passer par des tas de commissions. Avec l’architecte pétersbourgeois Leonid Berkovitch, nous avons préparé un projet qui a finalement été approuvé par l’architecte principal de Saint-Péterbourg, Vladimir Grigoriev. Au cours des pourparlers avec les autorités municipales et l’installation du monument, nous avons bénéficié de l’aide d’Olga Mayatskaya, directrice de l’Agence d’Architecture paysagère « Jardin Non-Ennuyeux », elle nous a été d’un grand secours, ainsi que le président du Comité des relations extérieures Evgueni Grigoriev. Notons que ce projet n’a pas coûté un sou à la partie russe. Nous avons tout financé.

Comment l’emplacement de la statue a-t-il été choisi ?

Ça a pris trois ans. D’abord, on nous a proposé de la placer près d’un nouveau centre commercial, mais nous avons refusé. Puis dans la cour d’une école dont la construction en béton datait de l’époque de Khrouchtchev. Puis on nous a offert un emplacement bien situé dans le quartier Moskovski, avant de nous le reprendre au profit des sous-mariniers. A notre déception. Enfin, on nous a trouvé cet emplacement. Et nous avons accepté. C’est un bel endroit. Non loin de là se trouvent la caserne de l’armée impériale et un lycée français qui vient d’être totalement rénové. Ensuite, nous avons dû affronter la bureaucratie, des tracas administratifs sans fin. Des difficultés inextricables. Mais le résultat final, je l’espère, plaira aux habitants de Saint-Pétersbourg. Au début, nous avons craint une opposition de la part de l’Église, mais rien de tel ne s’est produit.

Notre comité de soutien compte parmi ses membres un éminent représentant de l’église orthodoxe, Monseigneur Nestor Sirotenko, archevêque de Chersonèse, en charge des communautés du patriarcat de Moscou en France, Suisse, Espagne et Portugal : il a pleinement soutenu notre projet. Certains cercles libéraux ont protesté : ils n’aiment pas Jeanne d’Arc parce qu’elle est la fondatrice de la nation française, l’incarnation de l’idée nationale. Sur le plan théologique, c’était une sainte, inspirée par Dieu. Le dernier phénomène mystique du moyen-âge tardif. Une jeune fille analphabète de dix-sept ans qui en quelque mois apprend à lire, à monter à cheval, à commander une armée et à élaborer, peu de gens le savent, sa propre théologie originale dont le sens se résume au fait que le contact direct avec Dieu prime sur la volonté ou les actions de la hiérarchie ecclésiastique. Par la suite, les protestants ont développé cette idée. Mais Jeanne d’Arc était papiste : elle soutenait le Saint-Père. Que n’a-t-on pas fait pour la forcer à renoncer à ses idées : qui était-elle donc pour faire la leçon aux autres ? De nombreux livres ont été écrits sur son procès, sur ses réponses très claires et dépourvues d’ambiguïté. Elle a reconstruit l’armée française, et la dernière bataille de Patay durant laquelle ont été tués 4000 Anglais et seulement quelques centaines de Français a contribué aussi à la faire considérer comme une sorcière.

On conserve toujours sa bague qui avait été transmise aux Anglais. Une bague considérée comme un trophée. Une chapelle a désormais été construite spécialement pour cette bague, rachetée à grand peine par les Français. Des miracles se sont produits et continuent à se produire autour de cette chapelle.

A mon avis, les catholiques français ont une attitude plus ouverte à l’égard de l’orthodoxie russe que les orthodoxes russes à l’égard du catholicisme. Les gens craignent de se voir impliqués dans quelque chose qu’ils comprennent mal. C’est dû à un manque de culture et à une méconnaissance. Le prince Obolensky, un émigré qui a vécu à Paris, en quête d’une figure héroïque contemporaine pareille à la Pucelle d’Orléans, a écrit un livre remarquable sur Jeanne d’Arc. Il s’est penché sur l’histoire de cette jeune paysanne et sur la manière dont elle a su restaurer la monarchie. Il a remarqué que le but ultime de son épopée n’était pas Orléans, mais le couronnement.

Si on veut restaurer la culture en Europe, cela s’accomplira uniquement sur une base chrétienne. De nombreux philosophes sont inquiets face à la situation actuelle. Mais il leur manque la foi. Ils sont pleins de bonne volonté, mais ils sont aveugles.

A la lumière mystique, cette sculpture n’est pas une simple figure matérielle. Le salut de l’Europe et de la Russie est possible seulement si nous collaborons en nous appuyant sur le fondement chrétien qui nous unit. Jeanne d’Arc peut être considérée comme une sainte universelle. Comme l’écrit Merejkovski dans sa célèbre monographie de 1938, Jeanne d’Arc, est une « sainte de l’église universelle ».

Parlez nous un peu de vous.

Je suis né à Kiev en 1947. Je suis le descendant d’un Français blessé lors de la campagne napoléonienne et qui est resté en Russie. Ce qui explique mon nom. En 1974, j’ai achevé mes études à l’Académie des Beaux-Arts de Leningrad. Il y a eu plusieurs jalons essentiels dans ma vie d’artiste. Quand je suis arrivé en France en 1979 et que j’ai vu les paysages français, j’ai compris pourquoi l’impressionnisme était né en France et les sources de la culture française. La France est un pays qui est fait pour la culture. C’est un jardin où chaque kilomètre offre une nouvelle perspective. Et l’idée m’est venue de sculpter des paysages. Ce qui m’a apporté le succès, j’ai reçu un prix, j’ai remporté un concours international pour ériger mes paysages monumentaux à Paris. En tout j’ai remporté douze concours. C’est en 1988 que cinq de mes paysages en bronze ont été installés boulevard Pereire, dans le dix-septième arrondissement. Un événement majeur dans mon parcours d’artiste. A l’époque je parlais encore mal le français, mais j’avais déjà des sculptures à Paris.

Un autre événement important a été ma rencontre avec Nikita Struve qui m’a proposé de sculpter une plaque commémorative pour Mandelstam. Et bien sûr, c’est avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai sculpté son portrait. La plaque se trouve 12 rue de la  Sorbonne, où Mandelstam louait une chambre en 1907-1908.

Puis il y a eu de nombreux autres concours. Mais la période la plus signifiante est celle de la création de ma statue de Jeanne d’Arc. C’est avec joie que je me suis consacré à ce travail, j’ai cherché à qui elle pouvait ressembler, je me suis interrogé sur sa manière de penser. C’est l’abbé Guillaume de Tanoüarn qui m’a demandé si cela m’intéressait de concevoir une statue pour le six centième anniversaire de Jeanne. Ma première idée était de la sculpter martyre sur le bûcher. Mais ensuite je me suis dit que ce n’était pas d’une martyre que nous avions besoin aujourd’hui. Qu’aujourd’hui, il nous fallait une figure victorieuse, une Jeanne d’Arc guerrière. Après réflexion, j’ai choisi la façon dont j’allais la représenter. Pour le premier monument de Jeanne, c’est une jeune fille russe, la sibérienne Kristina Bouchoueva, qui m’a servi de modèle. Puis quelque chose d’incroyable s’est produit. La ville d’Orange m’a proposé de participer au concours pour la création d’un monument pour des victimes de la terreur jacobine : trente deux religieuses guillotinées pour avoir refusé de reconnaître le pouvoir de Robespierre et de Marat. Une histoire exceptionnelle ! Deux cent ans s’étaient écoulés depuis lors sans qu’on leur érige la moindre statue. L’importance de cet événement m’a marqué. Il a coïncidé avec Jeanne d’Arc. Le point culminant de mon parcours d’artiste, en quelque sorte. Et quant à Saint-Pétersbourg. C’est ici que j’ai fait mes études à l’Académie des Beaux-Arts. C’est la ville de ma jeunesse, qui m’est très chère.

Ma femme Madeleine est une descendante de l’aristocratie française, mais sa famille a également des racines russes. Dans les années 1970, elle a enseigné le français à Pskov et c’est là que nous nous sommes rencontrés et qu’a débuté notre histoire d’amour. Ses descendants avaient émigré de France en Russie après le coup d’État jacobin et l’un d’eux a été le précepteur de l’empereur Paul Ier. Un autre de ses ancêtres, Alexandre Dmitrievitch Zinoviev, a été gouverneur de la région de Saint-Pétersbourg de 1903 à 1911. C’était un représentant de la famille Zinoviev-Annibal. Après la révolution, une partie de cette lignée a quitté la Russie. Mon propre ancêtre a servi dans l’armée napoléonienne, tandis que deux des ancêtres de ma femme, qui portaient le nom Gaudin de Villaine, étaient des Français au service de la Russie, ils sont morts en 1812 à Borodino, en combattant du côté russe. Pouvaient-ils imaginer alors que plus de cent cinquante ans plus tard leurs descendants se rencontreraient et fonderaient une famille ?

Viatcheslav Kotchnov

 

 

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