Les metteurs en scène ont-ils tous les droits ?

Roméo et Juliette avec Aida Garifullina

Plus de restaurant, plus de cinéma, plus de théâtre, plus de festival de musique, plus de fête entre amis, pour risques de pugilat, il reste les opéras sur Mezzo Live. Tristan et Isolde, Roméo et Juliette et Lohengrin en une semaine, et dans son fauteuil d’orchestre, le rêve pour des mélomanes. Mais voilà, le mensonge règne là aussi en maître. Trois metteurs en scène, après bien d’autres, viennent de massacrer une fois de plus, allègrement l’imaginaire européen. Un russe, Dimitri Tchernienko, au Staatsoper de Berlin, un américain, Stephen Lawless au Liceu de Barcelone, et un français, Olivier Py au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Leur méthode : le mensonge et la propagande politique par l’anachronisme. Tristan et Isolde se déroule sur un paquebot des années trente et pourtant nous ne regardons pas Le Hollandais volant ! Romeo et Juliette se passe au temps de la Guerre de Sécession, adieu l’Italie de Vérone, et Lohengrin dans Berlin en ruines en 45. Le dernier exemple est un marronnier, presque tous les Wagner se passent dans Berlin en ruines, Hitler, Wagner et le nationalisme, plus jamais ça !!!!

Le metteur en scène américain conseille d’ailleurs aux jeunes qui se lancent dans la carrière : découvrez votre directorial voice, ce que vous voulez voir et ce que vous aimez voir. Ce que le public vient voir et aime voir, il s’en fout. Bon résumé de leur comportement à tous : que le public de Lohengrin attende le cygne et soit déçu par le petit tas de plumes échappées d’un coussin ils s’en moquent. Que le combat à l’épée de Lohengrin contre le menteur soit transformé en une bataille sur l’échiquier provoque l’énervement. Servir une légende, un livret, un artiste, pas de ça Lizette… Servir mon ego, mon nombril, voilà l’important et la clé du succès. Le public crie, hurle, tape du pieds. Aucune importance.

Des preuves, le metteur en scène russe bascule Tristan et Isolde sur un paquebot dans les années trente, Isolde échappée du MLF porte le pantalon, fripé en plus. Ils commencent par s’engueuler  car ils se méprennent sur l’apparente indifférence de l’autre, puis une fois le filtre bu, l’ivresse de l’amour les submerge. On est pris par l’énergie d’Andreas Shager, sa passion dévorante et son chant. Mais les palinodies du dernier acte et la mort de Tristan, une pauvre petite chambre, alors que c’est censé être son château, fatiguent. Heureusement Barenboïm reste imperturbable et la musique enchante.

Le metteur en scène américain installe Roméo et Juliette dans un mausolée ou un funérarium. Le nom des morts tous américains inscrits sur les plaques funéraires. Nous sommes dans un beau tableau de Winterhalter. Belles robes à panier mais évacuation totale du sacré, le mariage comme la mort des amants ne se passent pas dans une chapelle. Evidemment. Petit détail trivial : au moment tant attendu de la question des époux à leur réveil, est-ce le chant de l’alouette ou celui du rossignol, Roméo se lève en liquette comme mes grands-pères, les fesses à l’air et le slip bien visible. On croyait assister à un drame de Gounod, on est chez Feydeau.

Olivier Py nous impose enfin sa vision de Lohengrin. Il nous assène, avant le lever de rideau, une petite allocution politique, oui Wagner a soutenu Hitler, oui Hitler s’est servi de Wagner mais ce dernier est un prophète, il a vu les dangers mortels du nationalisme. Fermez le ban.

Lohengrin étant une légende médiévale au temps des petites principautés allemandes, on ne voit pas le rapport avec la nation. Et la propagande s’épanouit, emmerdante et bavarde, sur les murs en ruine de Berlin on lit la phrase : la mort est le maître de l’Allemagne. Le roi du Brabant porte une couronne en carton et il s’assoit sur une chaise d’école ou de cuisine. La monarchie, on la ridiculise. Au moment du mariage et de la célèbre marche nuptiale, un beau danseur surgit, torse nu, collant noir et bottes nazies nous fait un numéro admirable d’ailleurs de gymnastique, très inspiré des statues d’Arno Brecker. Là encore pas de cathédrale et des invités en noir, forcément pour un mariage le noir s’impose… Le secret qu’une femme ne saurait garder est aussi un élément récurrent des contes et légendes mais le vrai sujet est Lohengrin, fils de Parsifal qui a accompli sa mission de chevalier, sauver la vertueuse Elsa accusée à tort.

Enquêtons sur l’œuvre et les propos des uns et des autres. Le metteur en scène russe, reconnu pour ses réinventions des célèbres opéras russes, n’hésite pas à prendre des libertés avec le livret original. Ainsi ses carmélites des dialogues de Poulenc ne montent pas à l’échafaud. C’est moins triste ! « Son Parsifal à Berlin, dit un critique, désenchante totalement le mysticisme wagnérien en faisant de la quête du Graal une secte. Ses Troyens de Berlioz évoluent dans un centre de soins psycho-traumatologiques. Il aime évacuer la dimension surnaturelle des œuvres au profit d’une relecture psy ». Mais si l’on chasse le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel !! Quant à Olivier Py il se répand sur le net et raconte son plaisir à provoquer les passants dans la rue en se travestissant en femme. Les marcheurs de la Manif Pour Tous sont de violents homophobes selon lui. Chacun, on le voit, a ses problèmes d’égo. Le problème c’est que leur égo massacre l’imaginaire des chanteurs et celui du public. Et quand les peuples européens laissent piétiner ainsi leur patrimoine culturel il est normal qu’ils se laissent anéantir physiquement par des fous génocidaires. On tue l’âme et le corps ne résiste plus.

Ces metteurs en scène devraient peut-être méditer sur leur devoir de célébrer l’âme européenne au lieu de l’évacuer. Ils en sont les chevaliers servants. Deux mots qu’on ne leur a, sans doute, pas appris à l’école. Cette âme demeure invincible et ils seront un jour au chômage. 

Anne Brassié

Tous ces opéras sont disponibles sur le site de Mezzo live.

PS : Luc Olivier d’Algange a magnifiquement fait le portrait de cette âme européenne, vous pouvez le retrouvez dans cette émission de Perles de Culture, un livre médecine pour nos âmes meurtries ou lire son livre L’âme secrète de l’Europe – Œuvres, mythologies, cités emblématiques.

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1 réponse à Les metteurs en scène ont-ils tous les droits ?

  1. GAY dit :

    ÉBLOUISSANT. MERCI, ANNE.

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