Apres nous le déluge ! ou le constat du philosophe allemand Peter Sloterdijk
Extraits d’un entretien de Vincent Trémolet de Villers et Alexis Feertchak avec le philosophe allemand, Peter Sloterdijk, sur son dernier livre, Apres nous le déluge. (éditions Payot)
« Temps modernes ? Il ne suffit pas comme les éditeurs du magazine de Sartre à l’époque de mettre ce titre sur la première page d’un journal….Est moderne pas seulement celui qui épouse son époque …Est moderne pas seulement celui qui épouse son époque mais celui qui continue à la moderniser . Et moderniser …. c’est aller toujours plus loin dans la direction du déracinement, de l’autogenèse, du déni des origines et, si possible aussi ,dans la direction d’une vie sans enfants ou sans descendance. ET si jamais il s’avère qu’il est impossible de mener une vie sans laisser de trace sur la terre, on préfère que la génération suivante soit créée par ramification latérale. Ce que réalise d’ailleurs la législation contemporaine: l’état de fait d’illégitimité des enfants est aboli. ….. VT -Qui sont les enfants terribles de « ces temps modernes » ? Le plus terrible dans notre civilisation, c’est certainement le malheureux Oedipe, qui avait le mauvais destin d’épouser sa propre mère et de tuer son père sans savoir ce qu’il faisait. Pour les Grecs, c’était une catastrophe généalogique parce que ça inversait la course normale des choses. Oedipe procréait pour ainsi dire en arrière ! Cette abomination était une admonition : la monstruosité est toujours devant la porte pour celui qui s’écarte du chemin du milieu. Un monstre , c’est un être vivant qui sort de la loi de la généalogie, telle la fameuse chimère, un mélange d’une chèvre avec un dragon et un serpent. Les mélanges sont toujours dangereux. Pour les Grecs la monstruosité des créatures composées est le plus grand de tous les malheurs . Ces êtres sont frappés par la stérilité, ils ne se reproduisent pas. Chaque individu de ce genre est le dernier de « son espèce ». Curieusement, dans la réflexion moderne, il n’y a rien de plus chic que le bâtardisme, qu’ on appelle fièrement «l e métissage » Chez les modernes, il y a la volonté d’élargir les frontières du normal et de résorber une bonne parte de la monstruosité d’autrefois dans la normalité d’aujourd’hui. Ce qui fait que la modernité, c’est la tolérance, bien sûr, mais, en même temps, c’est une civilisation qui risque de se débarrasser d’elle même. »……
VT-Au début de votre livre, vous utilisez la métaphore du navire qu ‘on reconstruit en permanence tout en naviguant. Qu’est ce à dire ?
La maîtrise d’un véhicule dépend de l’existence d’un moyen d’arrêter le mouvement. Il faut posséder la pleine maîtrise de l’accélération et de la faculté de freiner. Notre civilisation ne connaît que la moitié de cette maîtrise, donc le processus dans sa totalité est incontrôlable. C’est un voyage dans un train qui accélère en permanence, mais c’est un train sans pilote et sans freins. On ne sait même pas si les rails ont déjà été posées !… » Entretien Figaro du 22 Octobre 201
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