Christian Bobin : adieu au moine-poète de la littérature
Décédé le 23 novembre, il était l’écrivain de la pudeur et de la délicatesse. Quitte à faire ricaner les cyniques.
Il était une sorte de moine-poète, un vieux sage comme on en trouve dans les contes japonais. Son mont Fuji s’appelait Le Creusot, cité de forges et d’acier adossée au Morvan. Bobin n’aura jamais quitté ce pays qui l’a vu naître. Il y vivait loin du tumulte, en lisière de forêt, en lisière du monde, au milieu des herbes folles qu’il laissait croître autour de sa maison.
La porte toujours ouverte, il prenait le temps de répondre à chacun de ses visiteurs, pesant ses mots, ménageant des silences. Le reste du temps il observait, méditait, écrivait. Les titres de ses livres en disent long sur l’homme. Ils s’appellent « Souveraineté du vide », « L’éloignement du monde », « La présence pure », « Éloge du rien », « Éclat du solitaire », « L’enchantement simple » ou encore « Une petite robe de fête ».
Procès en mièvrerie
En 1992, Christian Bobin publia « Le très-bas ». Succès soudain, colossal, 200 000 exemplaires vendus. Les critiques ne le lui pardonnèrent pas. On intenta un procès en mièvrerie. Le journal « Le Monde » moqua « cette petite voix stupide », ces « métaphores champêtres […] à court d’inspiration » et autres « bonbons de guimauve » tandis que « Libération » situait Bobin « entre Yves Duteil quand il nous énerve et saint François d’Assise quand il nous ennuie »…
La vie est un drôle de jeu. La règle, c’est de chercher.
Les contemplatifs n’ont jamais eu bonne presse. On les prend pour d’aimables benêts. Bobin, lui, savait que l’essentiel est constitué de petites choses très simples, prétendument anodines. Tout est affaire de presque riens. Dans « Un bruit de balançoire », il écrivait : « Je n’ai rien fait de ma vie, rien, juste bâti un nid d’hirondelle sous la poutre du langage. » Bobin était de ceux que la forme d’un nuage ou le vol d’un papillon suffisent à sustenter. « Regarder. Passionnément regarder, regarder comme un affamé. Je regarde et j’attends que quelqu’un, quelque chose, vienne ou survienne. Une attente douce, sans impatience. »
On entend la voix de cet écrivain dans chacune de ses phrases, témoignages d’une vie intérieure intense, tout entière consacrée à la recherche. À l’un de nos confrères, il expliquait il y a quelques mois que « la vie est un drôle de jeu. La règle, c’est de chercher. Il faut chercher, chercher tout le temps. Les certitudes sont des portes blindées. Ne croyez jamais avoir trouvé. Si vous trouvez, vous avez perdu ».
Avec une grande délicatesse, l’auteur berce, apaise
Que cherchait Christian Bobin ? Dieu, bien sûr, comme tout le monde. Mais un dieu sans barbe ni majuscule, « un dieu sans dieu, sans grande musique, sans reliure cuir, sans effets ».
En une soixantaine d’ouvrages, à l’épure, il n’aura cessé de dire le bonheur et la difficulté d’être au monde. Ses phrases sont plus profondes qu’elles n’en ont l’air, souvent graves et teintées de mélancolie douce. Avec une grande délicatesse, l’auteur berce, apaise. Son secret ? La poésie. « Bien avant d’être une manière d’écrire, la poésie est une façon d’orienter sa vie, de la tourner vers le soleil levant de l’invisible. »
Le plus long voyage que j’ai fait, c’était dans les yeux d’un chat
Un jour des amis bien intentionnés et mal renseignés lui proposèrent de les accompagner en voyage, dans un pays lointain. Bobin déclina courtoisement. Puis il ouvrit un cahier et nota ces quelques mots : « Ils sont partis, sauf en eux, ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j’ai fait, c’était dans les yeux d’un chat. »
Christian Bobin s’en est allé comme il avait vécu, discrètement, sur la pointe des pieds. Il nous reste à le relire, à pas feutrés.
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