Né en 1953, François Cérésa n’a pas toujours été journaliste au Quotidien de Paris puis au Nouvel Observateur, dont il assura la rédaction en chef et écrivain fécond. Il fut, assure sa biographie, « tour à tour maçon, peintre, menuisier, livreur, chauffeur de maître, démarcheur, cover boy, étudiant en médecine, titulaire d’un deug de philosophie en cours du soir, assistant sur des plateaux de cinéma, étudiant en art dramatique au cours Simon et militaire ».
Deux de ces métiers, ou plutôt de ces états, forment la trame de son dernier roman, Antonello, Léonard de Vinci et moi (1). A la fin du XVème siècle, le mercenaire Francesco Gelpi, un sauvageon sicilien auquel un moine a toutefois appris le latin et le grec entre deux travaux des champs (dont la castration des moutons avec les dents, tâche qui lui avait été impartie à quatre ans !) débarque à Venise, recru de fureur et d’horreur. Après avoir avalé Constantinople, le Grand Turc menace les possessions vénitiennes que, toute à ses plaisirs et à ses intrigues, la Sérénissime défend fort mal. Les doges trahissent leurs commandants, dont l’un a été scié en deux par les Ottomans lors de l’abominable prise de Nègrepont, laissent sans ressources les mercenaires mutilés.
Ivre de vengeance et de sang, égaré par tant d’atrocités subies ou commises au cours des combats, Gelpi est séduit par une mystérieuse noble dame, trucide dans une rixe le fils du doge et doit s’enfuir. Le hasard met sur ses pas l’un de ses compatriotes, le peintre Antonello de Messine, l’homme qui va imposer en Italie et notamment à Venise la peinture à l’huile venue de Flandre, et qui le choisit comme modèle de son fameux Condottiere. Mais aussi comme élève, car Gelpi a toujours dessiné, montrant assez de dons pour s’attirer l’estime du jeune Léonard de Vinci qui fréquente chez Antonello. Pour le mercenaire, c’est une rédemption par la beauté : « : « Je peignais pour imiter une nature qui tirait sa valeur des formes, de la matière et de cette putain de lumière que je broyais dans mon esprit comme je broyais les couleurs dans l’atelier. Et aussi pour ne plus tuer. » D’ailleurs, dépendant des commandes, au service de tel prince ou de tel roi, le peintre de la Renaissance n’est-il pas lui aussi un mercenaire ?
Le portrait de sa bienaimée comtesse Mona sera son chef-d’œuvre, assure l’ami Léonard, mais la comtesse en exige la destruction. Tant pis, le tableau — « plus nébuleux que le mien », commente un Gelpi apaisé qui dit « ignorer comment Léonard baptisera » sa propre toile — revivra par la grâce d’une autre palette mais entouré d’un insondable mystère… qui, se non è vero è ben trovato, nous est ici dévoilé.
La peinture de la Renaissance a souvent inspiré les écrivains, tels Petru Dimitriu dans L’Homme aux yeux gris ou Jean_Diwo »Jean Diwo dans Au temps où la Joconde parlait. Mené à bride abattue, plein de bruit et de fureur et qui restitue à la perfection les ors — et les odeurs — de la Venise du Quattrocento, le roman picaresque (et picturesque !) de François Cérésa vient de recevoir le Prix Charles Oulmont décerné sous l’égide de la Fondation de France (2). Une récompense amplement méritée et le livre devrait même être mis au programme de toutes les écoles des Beaux-Arts afin d’apprendre à tous les futurs peintres ou sculpteurs comment on peut se transcender par le travail et la sublimation de ses instincts les moins avouables. Encore y faut-il de l’humilité et un « supplément d’âme ».
Claude LORNE.
(1) Editions Plon 2011. 153 pages, 18 €.
(2) Autre livre primé lors de la même session, Les racines de l’Europe sont-elles chrétiennes et musulmanes ?, essai très érudit mais percutant de l’historien et archéologue Guy Rachet (560 pages avec index et bibliographies, pages, 29 €, éditions Jean Picollec)
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