Un excellent article de Marc Obregon dans l’Incorrect.
Malgré trop de mots anglais !
Quatre ans après Grave, faux film de cannibale et vraie bluette qui avait séduit une majorité de critiques en mal de sensations réchauffées, Ducournau enfonce le clou d’un pur cinéma de la posture, vide et arrogant. Et toujours sous les applaudissements. Le cinéma de genre français, déjà plus que moribond, n’avait sûrement pas mérité ça.
L’art de la posture
La moindre des choses, lorsqu’on se targue de faire des films de genre, c’est d’avoir la foi. La foi dans son histoire, la foi dans ses personnages, la foi dans son imaginaire. Pour faire croire, il faut croire : les plus grands réalisateurs de cinéma fantastique savent installer une situation, poser des personnages en quelques plans, élaborer un récit solide capable de maintenir la fameuse « suspension d’incrédulité ». Pour cela, encore faut-il faire fi de son ego. Ce qui n’est pas vraiment le genre de Julia Ducournau. L’histoire, le réalisme, la peinture de caractère, elle s’en tamponne. Ce qui lui importe, c’est plutôt de montrer à quel point elle est cool. D’ânonner une sorte de manifeste arty vaguement dans le vent, de balancer ici et là quelques images chocs soulignées au Stabilo, de régurgiter le tout en accumulant les poncifs, un peu comme si elle avait tiré au sort ses thématiques : la filiation, le déni de grossesse, la dysphorie de genre… Au passage, elle déploie tout un catalogue de chromos ultra beaufs : pompiers en rut filmés au ralenti, strip-teaseuses forcément gouines et bagnoles peintes à l’aérographe… Un catalogue de fantasmes adolescents, de références mal digérées, liées par une très bourgeoise volonté de choquer le bourgeois, tout cela mis bout à bout et sans aucune logique. De la posture pure et simple. On jurerait que Ducournau avait sous les yeux une liste de scènes à cocher pour parfaire son idéal de film d’horreur chic et dégénéré. L’automutilation ? Check. Les écoulements vaginaux noirâtres ? Check. Les meurtres à coups d’aiguille à tricoter ? Check. Tout cela en dépit de toute exigence narrative, et surtout en dépit de notre empathie.
3 films ratés en un seul
En dernier lieu, on se contrefout de l’histoire rocambolesque de cette pauvre fille qui passe d’une carrière de danseuse psychopathe à celle d’un fils perdu retrouvé par un pompier camé… Car, oui, vous avez bien lu : Titane, à force de courir plusieurs lièvres et de racoler la triste weltanschauung de notre modernité malade, devient surtout un énorme kamoulox. Il y a trois films dans Titane : un thriller psychologique qui parle d’un faux fils retrouvé, une sorte de slasher ringard et une tentative de « body horror » à la Cronenberg… les trois films, faute d’être travaillés, échouent lamentablement. L’horreur physique se résume à une grossesse pathétique, le thriller intimiste à une pantalonnade soporifique dans une caserne de pompiers et le slasher à quelques meurtres tout droit sorti d’un naveton des années 90. Ce qui subjugue le plus, c’est sans doute la bêtise du scénario. On se demande vraiment comme un tel script à pu convaincre acteur et financiers, tant il est décousu, dénué de tout affect et de toute passion.
Ce qui subjugue le plus, c’est sans doute la bêtise du scénario. On se demande vraiment comme un tel script à pu convaincre acteur et financiers, tant il est décousu, dénué de tout affect et de toute passion.
Aucune évolution, aucune psychologie, aucune ambiguïté, les rôles principaux sont des blocs monolithiques qui obéissent aux lois crétines du monde régi par Ducournau, un monde de pantins qui n’existe qu’à travers une énumération de névroses didactique et appliquée. Les scènes s’enchaînent, toutes plus gratuites les unes que les autres, flirtant souvent avec le comique involontaire (quelques francs fou-rires ont d’ailleurs éclaté dans la salle pendant les moments les plus « dramatiques »). Pourquoi l’héroïne, fille de médecins de la côte d’azur, en vient-elle à ressembler à une sorte de camée couverte de tatouages nuls (« Love is a dog from hell », sérieusement ?). Et pourquoi devient-elle une psychopathe en puissance dès le premier quart du film, dans une scène campy qui se veut sûrement brutale mais qui ne parvient qu’à nous arracher un ricanement de gène ? On ne saura jamais. Ducournau s’en fout. Elle ne met pas en scène des personnages, elle ne raconte pas une histoire, elle se contente de mettre en images, tant bien que mal, son fantasme pubescent du cinéma.
On en vient à se demander ce que Vincent Lindon est allé faire dans cette galère, condamné à se piquouzer le cul dans une poignée de scènes grotesques, et à étreindre un fœtus vaguement chromé dans un final sur fond de Requiem qu’on croirait sorti d’un court-métrage de première année de FEMIS… Le plus étonnant, c’est sans doute l’adhésion quasi-unanime des critiques : « chef d’œuvre », « de bruit et de fureur », « mise en scène monstrueuse », etc. Ah bon ? On n’a probablement pas vu le même film… Bien sûr, on n’aurait pas été contre une vraie proposition esthétique, un film expérimental plein de bruit et de fureur, au croisement de Kenneth Anger et de Shozin Fukui.
On se souvient avec émotion de Tetsuo, premier film viscéral de Shinya Tsukamato, apparemment cité en référence par la réalisatrice. Pourtant, aucun rapport entre ce chef d’œuvre radical, véritable cri de détresse et manifeste cyberpunk qui fait encore école aujourd’hui, et ce pensum arrogant, à peu près aussi choquant qu’une publicité Paco Rabanne.
On est très loin du compte : au final, Ducournau a beau se réclamer des grands maîtres du genre, Titane ne ressemble qu’à un énième film d’auteur français, chichiteux et mesquin, à peu près dénué de toute mise en scène et de toute emphase plastique… la lumière, étonnamment médiocre, se résume bien souvent à des spots blanchâtres qui occasionnent pas mal de faux raccords, le jeu d’acteur est complètement aux fraises (la moitié des dialogues sont tout simplement inaudibles, sans doute parce que ça fait cool de murmurer dans sa barbe), et jamais Decournau ne semble avoir la main sur ce qu’elle filme, comme dépassée par sa juvénile ambition de rentrer dans cette nouvelle marge si normative. On se souvient avec émotion de Tetsuo, premier film viscéral de Shinya Tsukamato, apparemment cité en référence par la réalisatrice. Pourtant, aucun rapport entre ce chef d’œuvre radical, véritable cri de détresse et manifeste cyberpunk qui fait encore école aujourd’hui, et ce pensum arrogant, à peu près aussi choquant qu’une publicité Paco Rabanne. Titane porte bien son nom : c’est un naufrage total.
Tout ça donne la nausée et ce n’est que la bande-annonce !
Merci de nous prévenir…