Perseverare diabolicum est

La gauche espagnole a tué José Antonio Primo de Rivera et… des années plus tard profane sa tombe à la Valle de Los Caidos.

D’Arnaud Imatz, José Antonio, éternelle victime de la haine.

On dit de Carlos V que lorsque ses troupes vainquirent à Mülhberg (1547), certains de ses conseillers l’encouragèrent à exhumer et à brûler les restes de Luther qui se trouvaient dans la chapelle du château de ladite ville. Magnanime, l’empereur se borne à répondre « Il a trouvé son juge. Je fais la guerre aux vivants, pas aux morts ». Mais le respect de la sépulture des morts et le désir de réconciliation et de fraternisation ne semblent plus à l’ordre du jour. Le dernier rebondissement de l’affaire de la Vallée des morts, avec l’exhumation de la dépouille de José Antonio Primo de Rivera, finalement décidée par sa famille sous la pression des autorités et pour empêcher la profanation de la tombe par des mains étrangères, en est une autre démonstration frappante. L’erreur, pour de nombreuses personnes de bonne volonté, a été de persister à attendre des actions sublimes alors que la source du sublime s’est tarie. Mais pourquoi tant d’hostilité, de ressentiment et de haine contre « José Antonio » ? Qui était vraiment le fondateur de la Phalange ?

Rejeter l’histoire manichéenne

Pour les artisans de l’historiographie dominante, néosocialistes « progressistes » autoproclamés ou néolibéraux, la réponse est aussi simpliste que répétitive : il était « un fasciste, fils de dictateur », et l’affaire est close. Après trente-cinq ans de propagande « conservatrice » ou franquiste suivis de près d’un demi-siècle de propagande « progressiste », et malgré l’impressionnante bibliographie qui existe sur le sujet, « José Antonio » continue malheureusement d’être le grand inconnu ou le mal connu de l’histoire contemporaine de l’Espagne. Pour ses adversaires, admirateurs du Front populaire, gloseurs souvent cachés des mythes du Komintern, le jeune fondateur de la Phalange aurait été un peu un fils à papa, un admirateur cynique du fascisme italien, un pâle imitateur de Mussolini. Dans le meilleur des cas, ce serait un esprit contradictoire, ambigu, qui aurait cherché dans le fascisme la solution de problèmes personnels et affectifs. Pire encore, il aurait été un homme de main du capital, une personnalité autoritaire, anti-démocratique, ultra-nationaliste, dépourvue de toute qualité intellectuelle, démagogue, arrogante, violente, raciste et antisémite. Et à cette accusation absurde et grotesque, s’ajoutent les doléances de ses adversaires de droite. Selon eux, il aurait défendu une politique consciemment catastrophique, une stratégie de guerre civile. Dans tous les cas, il aurait été une personnalité égarée, dont la contribution à la vie politique aurait été nulle, marginale ou négative dans la mesure où il aurait accéléré le désastre national. Certains ajoutent, comme si cela ne suffisait pas, que la présence de José Antonio du côté national en pleine guerre civile, n’aurait pas changé le cours des événements. Il aurait pu affronter les militaires, disent-ils, mais ils l’auraient emprisonné ou même exécuté. S’il avait survécu et eu plus de succès, « il aurait très probablement été complètement discrédité ». Et ils n’hésitent pas à relever ce qu’ils appellent une « contradiction entre le falangisme joseantonien et le catholicisme », concluant, sans hésitation, « comme dit la Bible, celui qui vit de fer, meurt de fer ». Mais affirmer n’est pas démontrer.

Depuis près d’un demi-siècle, je m’oppose à ce récit caricatural, manichéen ou de feuilleton, à ces schémas réducteurs contredits par une masse considérable de faits, de documents et de témoignages. Je sais que la simple considération de valeurs, de faits ou de documents, qui contredisent l’avis de tant d’historiens soi-disant scientifiques (ou plutôt de militants camouflés), conduit ipso facto, au mieux, au silence et à l’oubli, et au pire, à la caricature, à la l’exclusion, l’insulte, l’accusation de complaisance, de légitimation calculée, voire d’apologie déguisée de la violence fasciste. Mais peu importe, l’essentiel est de dire ce qu’il faut dire. Un ouvrage, une étude historique vaut sa rigueur, son degré de vérité, sa valeur scientifique.

Après avoir lu une grande partie de l’inépuisable littérature hostile, il faut prendre la peine d’aller aux sources primaires. Dans mon cas, l’étude minutieuse des Œuvres Complètes et l’analyse rigoureuse des documents et témoignages de l’époque m’ont ouvert les yeux. Les clichés habituels sur José Antonio Primo de Rivera, sa personne et ses actes, ou la répétition de formules et d’affirmations tronquées ou sorties de leur contexte pour montrer la pauvreté de son analyse et la faiblesse de sa pensée ont depuis longtemps cessé de m’impressionner.

Comment donner un minimum de crédibilité aux auteurs qui se taisent, ignorent ou rejettent des centaines de témoignages pondérés ? Pourquoi l’anthologie d’opinions de personnalités de tous bords, publiée par Enrique de Aguinaga et Emilio González Navarro, Mille fois José Antonio (2003) est-elle si soigneusement ignorée par tant de supposés « spécialistes » ? Pourquoi Miguel de Unamuno, le plus grand philosophe libéral espagnol de l’époque sous Ortega, aurait-il vu en José Antonio « un cerveau privilégié, peut-être le plus prometteur de l’Europe contemporaine » ? Pourquoi Salvador de Madariaga, célèbre historien libéral et antifranquiste, l’aurait-il défini comme une personnalité « courageuse, intelligente et idéaliste » ? Pourquoi des politiciens bien connus, comme les socialistes et anarchistes Félix Gordón Ordás, Teodomiro Menéndez, Diego Abad de Santillán et Indalecio Prieto, ou des intellectuels libéraux et conservateurs renommés, comme Gregorio Marañón, Álvaro Cunqueiro, Rosa Chacel, Gustave Thibon ou Georges Bernanos, ont rendu hommage à votre honnêteté et sincérité ? Pourquoi le plus célèbre hispaniste français, membre de l’Institut, Pierre Chaunu, grand connaisseur du gaullisme aurait établi un parallélisme surprenant entre la pensée de Charles de Gaulle et celle de José Antonio dans pas moins d’un long article du Figaro (4 -5 septembre 1982) ?

Ni droite ni gauche 

Il y a quatre-vingt-dix ans, José Antonio, en précurseur et disciple d’Ortega y Gasset, dénonçait déjà les deux formes d’hémiplégie morale : « Être ‘de droite’ comme être ‘de gauche’ signifie toujours expulser de l’âme la moitié de ce qu’il faut se sentir. Dans certains cas, il s’agit de tout expulser et de le remplacer par une caricature de moitié. J’ai voulu créer et développer un mouvement politique animé par une doctrine synthétique, qui embrasse tout ce qui est positif et rejette tout ce qui est négatif de droite comme de gauche, implanter une justice sociale profonde pour que le peuple puisse revenir à la suprématie du spirituel ». La dimension métaphysique, religieuse et chrétienne, le respect de la personne humaine, le refus de reconnaître l’État ou le Parti comme valeur suprême, l’anti-machiavélisme et le fondement non hégélien mais classique de l’État, sont des éléments distinctifs de sa pensée. Par son sens de la justice, de la solidarité, de l’unité dans le respect de la diversité et son sens aigu du devoir, José Antonio est à la fois un traditionaliste et un révolutionnaire.

Il voulait réaliser un projet sans doute trop idéaliste pour son époque : il voulait nationaliser les banques et les grands services publics, attribuer la plus-value du travail aux syndicats, mener une profonde réforme agraire en application du principe : « La terre est à ceux qui la travaillent » et créent une propriété familiale, communale et syndicale. Il voulait établir la propriété individuelle, familiale, communale et syndicale, toutes avec des droits similaires.

Son programme était-il réformiste ou révolutionnaire, réaliste ou utopique ? On pourrait en débattre, mais ce qu’on ne peut pas dire, c’est qu’il manquait d’ouverture, de générosité et de noblesse. Le national-syndicalisme de José Antonio a échoué lamentablement, mais, après tout, parce qu’il a été victime à la fois du ressentiment, du sectarisme et de la haine de la gauche ainsi que de l’égoïsme, de l’arrogance et de l’immobilisme de la droite. Censuré, insulté, caricaturé, emprisonné (trois mois avant l’insurrection du 18 juillet) et fusillé par la gauche marxiste et anarchiste le 20 novembre 1936, après un simulacre de procès, le fondateur de la Phalange, qui avait été moqué et durement critiqué par les conservateurs et libéraux avant la guerre, a été récupéré, manipulé, déformé et finalement exécuté et enterré pour la deuxième fois par la droite franquiste.

Le bon connaisseur de la philosophie espagnole Alain Guy et le politologue Jules Monnerot, pour ne citer que deux universitaires et intellectuels étrangers prestigieux, ont déclaré que le falangisme joseantonien ne pouvait être strictement réduit au seul « fascisme », c’est-à-dire pour les historiens et les politologues, à un certain modèle qui désigne les similitudes imparfaites que l’on peut établir entre les phénomènes italien et allemand. Et ils n’ont pas non plus dit que ça se réduisait au franquisme, régime et idéologie dont le caractère a été avant tout conservateur et autoritaire. Je ne mets certainement pas un signe égal entre, d’une part, le falangisme de José Antonio, le fascisme italien, le conservatisme révolutionnaire allemand (avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler) et, d’autre part, les trois grandes hystéries du XXe siècle : le racisme national-socialiste, l’économisme sauvage du néolibéralisme ou, celui qui a sans doute tué plus de monde que les deux précédents, le socialisme marxiste.

Cela dit, il faut souligner que José Antonio a agi à un moment et dans un espace précis. Sa pensée n’est pas entièrement réductible au contexte historico-culturel, mais elle ne peut être utilisée pour donner des réponses concrètes aux questions actuelles. De plus, il contient des éléments discutables, pour ne pas dire inacceptables aujourd’hui. Ainsi, par exemple, sa théorisation de la minorité « éclairée », structurée en clubs ou en partis, qui seraient les acteurs du développement et de la révolution au nom du peuple, est clairement marquée et contaminée par les conceptions totalitaires héritées du jacobinisme libéral et socialisme marxiste.

José Antonio et les non-conformistes français des années 1930 

Le personnalisme chrétien du fondateur de la Phalange est très proche de la pensée des non-conformistes français des années 1930 (Robert Aron, Arnaud Dandieu, Jean de Fabrègues, Jean-Pierre Maxence, Daniel-Rops, Alexandre Marc, Thierry Maulnier, Emmanuel Mounier ou Denis de Rougemont) qui a eu une telle influence sur le futur président de la République française Charles de Gaulle [Et non moins intéressant est le rapprochement que l’on peut faire avec la pensée du fondateur du Fianna Fail, président de la république irlandaise, Éamon de Valera].

90 %, sinon la totalité, des idées personnalistes des non-conformistes français des années 1930, idées pour la plupart d’une actualité surprenante, et qui ont d’abord imprégné les cercles les plus originaux du régime de Vichy, ainsi que ceux de la plupart des réseaux de la Résistance non communiste, sont partagés par le jeune leader de la Phalange.

Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler ici les idées maîtresses dudit courant personnaliste français. En premier lieu, il y a la critique de la démocratie représentative, parlementaire, qui est synonyme de mensonge, de manque de caractère, d’engagement, de contrôle de la presse et des mécanismes démocratiques, et d’un régime aux mains d’une oligarchie d’hommes ambitieux et riche. Ensuite, il y a l’anticapitalisme, dont les racines sont philosophiques et morales plutôt qu’économiques ou politiques. Il y a la critique virulente du « laissez faire, laissez passer », qui a pour effet de transformer la société en une véritable jungle où les exigences du bien commun et de la justice sont radicalement ignorées. C’est la dénonciation de la soumission de la consommation aux exigences de la production, soumise à son tour au profit spéculatif. Il y a le rejet de la primauté absolue du profit et de la spéculation financière, ainsi que la domination des banques et de la finance. Il y a le rejet de l’usure comme loi générale, du triomphe de l’argent comme mesure de toute action et valeur humaine. On lui reproche enfin d’attaquer l’initiative et la liberté, de tuer la propriété privée en la concentrant dans de moins en moins de mains.

Ce courant français personnaliste et non conformiste se déclarait « ni de droite ni de gauche », « ni communiste ni capitaliste » ; il voulait lutter pour la « dignité de la personne humaine », pour les « valeurs spirituelles » et défendait « la troisième voie » ; il voulait étendre la propriété individuelle en multipliant la propriété collective non étatique ; il veut réorganiser le crédit en le confiant à des banques gérées par des organismes professionnels ou des groupements de consommateurs. Son principal grief contre le capitalisme se résumait en deux mots : matérialisme et individualisme. « Boire, manger et dormir suffisent », en cela, affirmaient les non-conformistes, le marxisme ne rompt pas avec le capitalisme, mais prolonge plutôt ses défauts. Le but ultime auquel il faut aspirer n’est pas le bonheur, le confort et la prospérité, mais l’épanouissement spirituel de l’homme. Ils ont simultanément défendu la nécessité d’une révolution institutionnelle, d’une révolution économique et sociale et d’une révolution spirituelle. Pour eux, l’essentiel était l’idée que tout bouleversement des structures serait inutile s’il ne s’accompagnait d’une transformation morale et spirituelle de l’homme, à commencer par celle des partisans de cette révolution à venir.

Cette très brève revue de l’esprit personnaliste des non-conformistes français des années 1930 conduit à la conclusion qu’il n’est pas une seule proposition formulée par eux qui ne trouve un écho dans les écrits et les discours de José Antonio. Primo de Rivera n’était ni hégélien, ni raciste, ni antisémite. Il n’a pas placé l’État ou la race au centre de sa vision du monde, mais plutôt l’homme en tant que porteur de valeurs éternelles, capables d’être sauvés ou perdus. Il n’a pas défendu une révolution matérialiste et totalitaire (collectiviste-classiste, étatiste ou raciste), qui cherche à réduire la réalité sociale et spirituelle à un modèle unique, mais une révolution spirituelle, totale, à la fois morale, politique, économique et sociale, une révolution chrétienne-personnaliste, inclusive de tous et au service de tous.

L’influence de l’idéologie fasciste italienne dans sa pensée et son style est indéniable, mais d’autres influences très importantes telles que le traditionalisme, le libéralisme, l’anarchisme ou le socialisme marxiste peuvent également être trouvées en eux. Beaucoup jugent sévèrement l’admiration de José Antonio pour Mussolini. Et il est vrai qu’au début de sa brève carrière politique, comme nombre d’hommes politiques et d’intellectuels de son époque, comme Churchill ou Mounier, il manifesta une véritable estime, voire un enthousiasme pour les réalisations sociales du Duce. Mais il ne faut pas oublier que le totalitarisme d’Etat du régime de Mussolini était, finalement, infiniment moins sanglant que le totalitarisme de classe ou de race. Toutes les idéologies modernes ont été à l’origine de crimes purs et simples, et aucune ne peut prétendre être plus humaine que les autres. Mais il y a des degrés dans l’horreur, et lorsqu’il s’agit de juger le fondateur de la Phalange, un minimum de décence et de rigueur s’impose.

José Antonio et Che 

Plusieurs auteurs se sont aventurés à établir un parallélisme entre José Antonio et la figure la plus emblématique du romantisme révolutionnaire du XXe siècle, le guérillero léniniste-maoïste Ernesto Guevara. Les similitudes sont cependant imparfaites. Tous deux exaltent les vertus de courage, de loyauté et de fidélité. Les deux symbolisent le désintérêt de la jeunesse. Tous deux méprisent le luxe, les goûts somptuaires et l’étalage de richesses. Tous deux rejettent l’ordre économique et social dans lequel ne règne que l’argent, dans lequel la société s’abandonne aux seules règles du profit et de l’égoïsme triomphant, avec ses inévitables corollaires de spéculation, de cupidité et de corruption. Tous deux ignorent la peur, dédaignent l’argent et sont mus par la passion du devoir. Mais les similitudes s’arrêtent là.

José Antonio est un catholique convaincu. Le Che manque de préoccupations métaphysiques et est hostile à toutes les croyances religieuses. Matérialiste, athée, Ernesto Guevara méprise ce que Nietzsche a dénoncé comme « les faiblesses du chrétien ». Le fanatisme, le sectarisme, la dureté, la haine de l’Autre, la démagogie révolutionnaire sont des traits que le Che partage avec Robespierre, Lénine, Hitler, Staline ou Mao. La chose la plus terrible à propos du Che est le mélange d’ascétisme personnel et de capacité à fouetter les autres, la certitude d’avoir toujours raison, la haine abstraite, la froide cruauté politique. Les amis ne sont amis pour lui que tant qu’ils pensent politiquement comme lui. Comme son maître Lénine, la lutte politique légitime tous les moyens : ruse, manipulation, cynisme, violence extrême, injures, invectives, injures, diffamation, subventions à l’ennemi de la patrie, vol d’héritages, vols et exécutions sommaires. Le Che aime les gens non pas tels qu’ils sont, avec leurs forces et leurs faiblesses, mais tels que la révolution les aurait transformés. C’est un ange exterminateur. Il lui est plus facile d’exprimer ses sentiments pour la mort d’un animal que pour la mort d’un ennemi. Il est difficile d’imaginer José Antonio ordonnant l’exécution sommaire de plus d’une centaine d’opposants, comme l’a fait le Che dans la forteresse de La Cabaña. On l’imagine tout aussi mal écrire, comme Lénine à Gorki (le 15 septembre 1922), ces lignes dégoûtantes sur les intellectuels pour déplorer le retard de leurs exécutions : « Les intellectuels, laquais de la bourgeoisie, se croient les cerveaux de la nation. En fait, ce n’est pas son cerveau, c’est sa merde ».

L’éthique joséantonienne 

José Antonio avait le sens de la mesure et de l’équilibre ; il savait qu’en politique le rejet absolu de tout compromis (qui n’est pas l’abandon des principes pour l’opportunisme) conduit toujours à une terreur implacable. En républicain et démocrate raisonnable, il rejetait toute nostalgie du passé, monarchiste conservateur ou réactionnaire. Il n’avait pas plus le goût excessif des militaires pour l’ordre et la discipline que l’attrait irrésistible de l’acteur ou de l’artiste pour la scène et la comédie. Il n’était ni Franco ni Mussolini. Aussi idiot que cela puisse paraître, José Antonio avait un penchant marqué pour la gentillesse ; une « bonté de cœur », comme l’a bien souligné le maître Azorín, qui, jointe à une haute conception de la justice et de l’honneur, un courage physique indiscutable, une préoccupation intellectuelle constante, un charisme ou magnétisme de chef et, enfin, un sens aigu de l’humour, l’ont rendu inévitablement sympathique.

Contrairement aux utopistes jacobins et aux socialistes-marxistes, José Antonio veut fonder son système sur l’individu et défendre les spécificités culturelles, régionales et familiales. Il n’entendait pas faire de l’Autre un Autre Moi, mais simplement l’accepter, le comprendre et le convaincre de collaborer avec lui pour le bien de toute la communauté nationale. Lorsque la guerre civile éclate, face à l’avalanche de haine et de fanatisme, de fer et de sang, il résiste et se dresse presque seul. Il offre sa médiation dans une dernière tentative pour arrêter la barbarie. Mais c’était une cause perdue, et il a été refusé. Mourir dignement, sans haine, l’âme sereine, comme un héros chrétien, en paix avec Dieu et avec les hommes. Il écrit dans son testament :« Je pardonne de toute mon âme à tous ceux qui ont pu me nuire ou m’offenser, sans aucune exception, et je supplie que tous ceux à qui je dois la réparation de quelque grand ou petit grief me pardonnent. » Les notables abondent dans la politique du XXe siècle, mais les plus nobles sont difficiles à trouver. C’était une sorte de dernier gentilhomme chrétien.

Cela dit, historiquement, le mérite de José Antonio est d’avoir tenté d’assimiler de manière critique, à partir d’une position profondément chrétienne, la révolution socialiste en même temps qu’il séparait les valeurs spirituelles et communautaires de la droite réactionnaire. Et l’une de ses caractéristiques les plus originales était d’apparaître sur la scène politique de son temps avec une nouvelle rhétorique, une nouvelle façon de formuler la politique, avec un langage original et attractif pour les jeunes.

Mensonges et vérités

Il convient maintenant de s’arrêter aux accusations de violence et d’antidémocratie qui lui sont habituellement reprochées. On lui reproche invariablement la phrase qu’il qualifie lui-même de malheureuse : « Quand la justice et la patrie sont offensées, il n’y a pas de dialectique plus admissible que celle des poings et des pistolets ». Mais il faut le citer dans son intégralité et le relativiser. Il ne faut pas oublier les déclarations constamment exaltées, incendiaires et anti-démocratiques de ses adversaires, à commencer par celles du « Lénine espagnol », le marxiste socialiste et révolutionnaire Largo Caballero.

« Remettons dans leur contexte » alors, la prétendue violence joséantonienne. La Phalange joséantonienne fut responsable d’une soixantaine à soixante-dix attentats meurtriers entre juin 1934 et juillet 1936. Mais, dans le même temps, elle souffrit d’environ 90 morts dans ses rangs (Il y eut 2 000 à 2 500 morts sous la Seconde République). Dès le lendemain de sa fondation, en octobre 1933, la Phalange joséantonienne subit une dizaine d’attentats mortels. Il ne s’agissait pas de bagarres de rue, mais d’attentats terroristes perpétrés par des socialistes, des communistes et des anarchistes, pour éliminer physiquement les marchands ambulants de l’hebdomadaire FE. L’image de propagande de la Phalange espagnole (FE) en tant que principal groupe dont l’action terroriste a provoqué la guerre civile est radicalement fausse. C’est à cause de son refus d’entrer dans le cycle de la violence pendant des mois que José Antonio a été surnommé « Simón le croque-mort » par la droite, et pour lequel son parti et ses militants ont reçu les surnoms de « maison funéraire espagnole » (FE) et « franciscanistes ». En réalité, la Phalange joséantonienne n’a réagi violemment qu’après huit mois d’attente. Le déclic fut la mort, le 10 juin 1934, d’un étudiant falangiste de 17 ans, Juan Cuéllar, assassiné à la Casa de Campo par un groupe de socialistes madrilènes. Pour ne rien arranger, la militante socialiste Juanita Rico a uriné sur le cadavre de sa victime, et le père du jeune Cuéllar n’a pas pu reconnaître le visage de son fils car il avait été piétiné, écrasé et déformé.

En réalité, un exposé des faits qui ignore la bolchevisation ou le radicalisme révolutionnaire du Parti socialiste, le développement de l’appareil paramilitaire socialiste et communiste, l’incohérence des républicains libéraux et l’immobilisme réactionnaire des conservateurs, pour tenter de mieux démontrer que la Phalange joséantonienne a été la principale cause de violence pendant la République et, par conséquent, de l’éclatement final, est tout simplement frauduleux. La violence n’a jamais été un postulat de l’idéal joséantonien. Il s’agit clairement d’une violence utilisée pour repousser l’agression ou pour défendre des droits ou des vérités intemporels (« pain, patrie et justice ») quand toutes les autres instances ont été épuisées.

Anticapitaliste, antisocialiste et antimarxiste, José Antonio l’était sans aucun doute. Mais était-il antiparlementaire et antidémocratique ? Ceci est hautement discutable. Pourquoi alors aurait-il dit : « Mais si la démocratie en tant que forme a échoué, c’est avant tout parce qu’elle n’a pas su nous offrir une vie vraiment démocratique dans son contenu. Ne tombons pas dans des exagérations extrêmes, qui traduisent leur haine pour la superstition des suffragettes en mépris pour tout ce qui est démocratique. L’aspiration à une vie démocratique, libre et pacifique sera toujours le point de vue de la science politique, avant tout de la mode » ? Il est ridicule de transposer dans le passé l’image actuelle de la démocratie espagnole. La situation actuelle ne peut être comparée à celle de la période précédant la guerre civile. Il y avait donc beaucoup de révolutionnaires et de conservateurs convaincus, mais très peu de démocrates tolérants et pacifiques. Le respect de l’Autre n’était pas à l’ordre du jour.

José Antonio était-il un putschiste, comme le prétendent tant d’auteurs ? Il est bien connu que les coups d’État ou coups d’État de nature modérée ou progressiste (beaucoup plus rarement conservatrice), ont été une caractéristique déterminante de la vie politique en Espagne (et aussi dans une grande partie de l’Europe) au cours du XIXe et du début du XXe siècle. Après 1820, il n’y a pas eu moins de 40 grands prononcés ou coups d’État dans la Péninsule, et des centaines de très petits. Que José Antonio ait été marqué et même contaminé par la tradition coup d’État du libéralisme du XIXe siècle et par la tradition du double coup d’État de l’anarchisme et du socialisme au début du XXe siècle est plus que probable. Mais la vérité est que son éphémère et incongru projet « d’insurrection », exposé une seule fois au meeting de Gredos (juin 1935), n’a jamais été qu’une réponse circonstancielle, théorique et imaginaire -sans le moindre principe d’application- à la grave insurrection socialiste d’octobre 1934.

Qui étaient les vrais théoriciens et techniciens de la dictature depuis la fin du XIXe siècle, sinon les épigones de la tradition prétorienne du libéralisme espagnol du XIXe siècle, comme le républicain-démocrate Joaquín Costa, sans parler des socialistes et des marxistes qui étaient alors ouvertement doctrinaires ou défenseurs de la dictature du prolétariat ou, pour le dire plus précisément, de la dictature du Parti sur le prolétariat. José Antonio ne doutait pas que le peuple était souverain. Il voulait améliorer la participation de tous les citoyens à la vie publique. Mais à la démocratie individualiste et libérale, à la démocratie collectiviste et populaire, il préfère la démocratie organique, participative et référendaire, plus à même selon lui de rapprocher le peuple des gouvernants. Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, ce choix a semblé à beaucoup possible, équilibré et raisonnable. De plus, si cette option n’avait pas été considérée par beaucoup comme réaliste et réfléchie, pourquoi tant de dirigeants plus tard, bien connus, dont les convictions politiques sont en contradiction avec celles de José Antonio, comme le premier Fidel Castro ou le président du gouvernement José María Aznar, auraient été des lecteurs attentifs et des admirateurs du Travaux complets ?

Contrairement à ce qui est si souvent répété, José Antonio admirait, même avec une certaine naïveté, la tradition parlementaire britannique. Certains militants phalangistes, qui n’ont pas apprécié les interventions du fondateur de la FE au Parlement, n’ont pas tardé à critiquer son « goût excessif pour les débats parlementaires ». La réalité est que José Antonio était un partisan de la démocratie organique, tout comme Julián Sanz del Río, Nicolás Salmerón, Fernando de los Ríos, Salvador de Madariaga ou Julián Besteiro, pour ne citer que quelques auteurs libéraux et socialistes espagnols.

En revanche, José Antonio se voulait et se prétendait beaucoup plus patriote que nationaliste. La nation n’est pas, selon lui, une race, une langue, un territoire et une religion, ni une simple volonté de vivre ensemble, ni la somme de tout cela. C’est avant tout « une entité historique, différenciée des autres dans l’universel par sa propre unité de destin ». Nous ne sommes pas des nationalistes, dit-il à Madrid (en novembre 1935), « parce qu’être des nationalistes est un pur non-sens ; c’est implanter les ressorts spirituels les plus profonds sur un motif physique, sur une simple circonstance physique ; nous ne sommes pas des nationalistes parce que le nationalisme est l’individualisme des peuples ».

Certains auteurs ont tenté de déceler chez José Antonio une évolution et une approche tardive, presque in extremis, des thèses de l’Allemagne nationale-socialiste. Pour cela, ils s’appuient sur un texte, daté du 13 août 1936, Germains contre Berbères écrit en pleine guerre civile dans sa cellule d’Alicante et retrouvé dans ses papiers après sa mort. Il y exprime une vision ethnoculturelle superficielle et réductrice qui ne résiste pas à une critique historique rigoureuse. Elle tente d’expliquer la Reconquête comme une confrontation entre deux archétypes, « l’esprit germanique » et « l’esprit berbère », mais en même temps elle semble reconnaître la fusion hispano-romaine-wisigothique. Cet article contient des inexactitudes et des déclarations qui ont ensuite été totalement démenties et réfutées dans son testament. Cependant, il convient de rappeler ici que ce type d’interprétation ethnoculturelle était répandu à son époque et chez des auteurs aux convictions contradictoires. La plupart des historiens des États-nations ont pensé à leurs origines dans une opposition entre indigènes et conquérants. Donc, l’historiographie de la France oscille constamment entre la thèse d’une origine franque (Clovis, le roi des Francs) et celle d’une origine celtique et gauloise (Vercingétorix) ou gallo-romaine lorsque Rome est prise en compte. Pour l’aristocrate Montesquieu, les libertés étaient d’origine germanique… En l’état, et revenant au supposé racisme de l’article Germaniques contre les Berbères, rappelons que la même accusation abusive pouvait être portée contre les textes d’Ortega y Gasset, d’Américo Castro ou de Sánchez-Albornoz.

José Antonio était clairement anti-séparatiste, mais n’a pas succombé à la tentation jacobine et centralisatrice. En témoigne son discours devant le Parlement le 30 novembre 1934 : « Il est maladroit d’essayer de résoudre le problème catalan en le considérant comme artificiel […]. La Catalogne existe avec toute son individualité, et de nombreuses régions d’Espagne existent avec leur individualité, et si nous voulons donner une structure à l’Espagne, nous devons partir de ce que l’Espagne offre réellement […]. C’est pourquoi je suis de ceux qui croient que la justification de l’Espagne réside dans quelque chose d’autre : L’Espagne n’est pas justifiée par une langue, ni par une race, ni par un ensemble de coutumes, mais […] l’Espagne est beaucoup plus qu’une race et beaucoup plus qu’une langue […], c’est une unité de destin dans l’universel […]. C’est pourquoi je comprends que lorsqu’une région demande l’autonomie, […] ce que nous devons nous demander, c’est que l’Espagne ne doit pas être un pays comme les autres. […] Ce qu’il faut se demander, c’est dans quelle mesure la conscience de l’unité de destin est enracinée dans son esprit ; que si la conscience de l’unité de destin est bien enracinée dans l’âme collective d’une région, il n’y a guère de danger à donner à cette région la liberté d’organiser sa vie intérieure d’une manière ou d’une autre ».

Rappelons en passant le supposé machisme ou anti-féminisme de José Antonio pour avoir un jour exprimé le désir d’une « Espagne heureuse et courte sur pattes ». Peut-être vaut-il la peine de rappeler ici le nom de l’une des figures les plus marquantes du féminisme espagnol, l’avocate Mercedes Formica. Elle était responsable de la profonde réforme du Code civil espagnol en faveur des droits des femmes en 1958. Dans les années 1930, elle avait été l’une des premières phalangistes et tout au long de sa vie, elle s’est déclarée une fidèle disciple de José Antonio (qui l’a nommée délégué national de la SEU et membre du Conseil politique), ce qui lui vaut aujourd’hui d’être victime d’une omerta acharnée. Dans ses Mémoires, Mercedes Formica balaie le mythe de propagande d’un José Antonio anti-féministe, démontrant son mensonge et sa tromperie.

Quant à l’impérialisme tant vanté du fondateur de FE, les arguments pour le défendre sont aussi très fragiles. Aucune revendication territoriale ne se retrouve dans les Œuvres Complètes. Selon José Antonio, au XXe siècle, l’empire espagnol ne pouvait être que de nature spirituelle et culturelle. Il va sans dire que des connotations antisémites ou racistes seraient recherchées dans ses propos en vain. Il a utilisé cinq fois le terme « État total » ou « totalitaire », non sans erreur et maladresse, mais il l’a fait clairement pour signifier sa volonté de créer un « État pour tous », « sans divisions », « intégrateur de tous les Espagnols », « instrument au service de l’unité nationale ».

L’opinion de José Antonio sur le fascisme est tout aussi surprenante. Il l’exprime sans ambiguïté dans une lettre de 1936 : « Le fascisme cherche à résoudre l’inharmonie entre l’homme et son entourage en absorbant l’individuel dans la collectivité ». Le fascisme est fondamentalement faux : il a raison de supposer qu’il s’agit d’un phénomène religieux, mais il veut remplacer la religion par l’idolâtrie. Quant à ses convictions catholiques, elles ne peuvent être remises en cause. La dernière et la plus claire manifestation de cela se trouve dans le testament susmentionné qu’il a écrit le 18 novembre 1936, deux jours avant son exécution.

Une variante de la troisième voie

La Phalange joséantonienne est une variante des idéologies de la Troisième Voie, que de nombreux doctrinaires, théoriciens et politiques ont défendues ou défendent depuis la fin du XIXe siècle. Historiquement, des personnalités aussi diverses que De Gaulle, Nasser, Perón, Chávez, Clinton ou Blair ont fait référence à la Troisième Voie. Mais leurs affiliations, malgré des apparences parfois trompeuses, ne sont pas les mêmes. Il y a deux fils politiques différents, deux directions qui ne se rencontrent jamais. Au-delà des temps, des lieux, des mots et des hommes, les tenants de l’authentique Troisième Voie poursuivent inlassablement le dépassement de la pensée antinomique. Ils veulent, comme l’a dit José Antonio, construire un pont entre Tradition et Modernité. La synthèse-dépassement, le besoin de réconciliation sous forme de dépassement, est pour eux l’objectif principal de toute grande politique. Là est la racine de la haine presque métaphysique de ses adversaires. Cela dit, étant donné que la pensée de José Antonio constitue l’un des membres de la vaste famille des idéologies de la Troisième Voie, il est d’autant plus légitime de se poser la question : « Qu’est-ce que José Antonio nous a vraiment légué ? ». Pour répondre, permettez-moi de répéter une fois de plus les paroles du philosophe basque Miguel de Unamuno qui concluent mon livre jeunesse José Antonio : entre haine et amour Son histoire telle qu’elle était, préfacée par Juan Velarde Fuertes : « Lui-même nous a quittés, et un homme vivant et éternel vaut toutes les théories et philosophies ».

Gaceta

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