2 articles historiques sur le passé qui éclairent notre présent
Un second de Camille Galic sur le 26 mars 1962 en Algérie paru dans Présent.
26 mars 1962 : un crime d’État.
Interrogé sur l’émotion suscitée en France par l’agression russe contre l’Ukraine avec laquelle nous avons une « proximité géographique et culturelle », ce qui « engendre inévitablement un phénomène d’identification », le psychiatre Dominique Barbier expliquait le 13 mars dans L’Express : « Les attaques de civils, les destructions d’hôpitaux ou d’écoles, les bombardements de couloirs sanitaires nous rappellent la guerre de 1939-1945 et la barbarie hitlérienne. »
Mémoire sélective
Certes, mais pourquoi ne pas invoquer aussi la barbarie des bombardements anglo-américains de 1944 qui, de la Normandie et de la Bretagne (Lorient ravagée par des bombes incendiaires, me rappelait tout récemment Jean-Marie Le Pen) à la Provence, firent près de 70 000 morts et plus de 500 000 blessés et rasèrent des villes entières ? « En une seule journée, le 27 mai 1944, les bombardiers américains ont tué autant, sinon plus, de civils français innocents qu’il y a eu de victimes tout aussi innocentes dans les Twin Towers de New York le 11 septembre 2001. Les Français ignorent que les bombardements anglo-américains dans leur propre pays ont fait presque autant de victimes (70 000) que la bombe atomique de Hiroshima (75 000) et beaucoup plus que celle de Nagasaki (40 000) », écrivait en 2008 le regretté Jean-Claude Valla dans un livre dont les chiffres n’ont jamais été démentis — et qui est toujours disponible sur Amazon et autres sites marchands, ainsi que les autres ouvrages mentionnés ici.
Tout aussi « amnésiques de leur propre histoire », nos compatriotes, qui avaient pour la plupart oublié le massacre du 26 mars 1962 combien tardivement évoqué par Emmanuel Macron en janvier dernier pour vamper le vote « pied-noir », ignorent que ce « crime sans assassins » — titre en 1994 de l’enquête-mémorial de l’indomptable Francine Dessaigne avait pour origine un bombardement intensif et fratricide : celui par l’armée française de Bab-el-Oued, ancien fief communiste et quartier populaire d’Alger censé abriter des desperados de l’OAS… et avec lequel le « phénomène d’identification » ne fut guère encouragé.
Temps sauvages pour Alger
Le 19 mars 1962, un Conseil extraordinaire s’était tenu à l’Élysée pour célébrer la signature le même jour des Accords d’Évian, événement que Charles De Gaulle, l’idole du patriote Zemmour, commenta ainsi : « On ne fait pas la paix pour les Français d’Algérie. S’ils ne font pas ce que la France veut [traduction : ce que JE veux], ils ne sont pas des Français ! » Révolté par le cynique bradage de ce qui était alors des départements français, le petit peuple de Bab-el-Oued conspua le chef de l’État. Dont la riposte fut, le 23 mars, le blocus du quartier par l’armée, les CRS et les gendarmes mobiles. Soumis à d’incessants tirs d’artillerie qui coûtèrent la vie à une trentaine de personnes et en mutilèrent pour la vie une centaine d’autres, fauchées dans leur appartement par des obus, les habitants furent privés d’eau, de nourriture, d’électricité et même de tout secours médical. Voilà qui annonçait « les temps sauvages » (cf. la manchette du Point du 24 février dernier) imposés à l’Ukraine.
C’est pour protester contre ce blocus que fut décidée pour le lundi 26 mars, il y a 60 ans tout juste, une manifestation pacifique auxquelles les familles étaient conviées. Je m’y rendis avec ma mère, transistor (sans lequel, à l’époque, nul Algérois ne se déplaçait) à l’oreille mais, alors que notre cortège se dirigeait vers la Grande Poste, lieu de ralliement, il fut impossible de franchir rue Michelet (aujourd’hui dédiée au terroriste Didouche Mourad), les barrages qui obstruaient le tunnel des Facultés. Contrairement aux précédents, tenus par des marsouins ou des paras, ces barrages étaient composés de blédards hostiles et hargneux, et les rares Français qui les encadraient étaient eux aussi très nerveux. Tout à coup, à la fois dans l’air bleu et les transistors, s’éleva le bruit d’intenses fusillades. Et puis une supplication : « Halte au feu ! Halte au feu, bon Dieu ! » Et une autre voix : « De l’énergie, mon lieutenant ! Faites cesser le feu ! » Mais le feu ne cessa pas.
Un crime sans assassins (identifiés et châtiés)
C’est alors que les hommes qui nous faisaient face armèrent à leur tour leur MAS 49. Un gradé aboya. Et ce fut la panique, la ruée vers les immeubles les plus proches pour y trouver refuge.
Lorsque tout fut fini, on releva officiellement 120 blessés et 48 morts (en réalité, plus de 80). Les morts de la « paix en Algérie ». Un journaliste du New York Herald présent rue d’Isly câbla à son journal que « parmi les sept hommes qu’il avait vu tirer sur la foule innocente, il y avait six Arabes » et que « l’ordre de tir avait été donné par un officier musulman ». Le bruit courut que les tueurs provenaient de la Wilaya des Aurès, la plus redoutable dont disposât le FLN. A la suite de longues recherches, Francine Dessaigne et sa co-auteur Marie-Jeanne Rey établirent que c’étaient des tirailleurs indigènes du 4ème R.T. — dont, depuis fin 1961, nombre d’éléments avaient déserté (avant sans doute de passer en Métropole dans l’espoir d’un avenir meilleur et d’y faire souche) —, commandés par un officier lui aussi musulman.
Qui avait donné l’ordre scélérat de déployer une telle troupe face à des citoyens français ?
Quand le bourreau « excusait » ses victimes
Aucun organe de presse ne reprit cette information du N.Y. Herald sauf Rivarol — qui fut aussitôt saisi. De même, élaboré par la soixantaine de députés du Regroupement national pour l’unité de la République (dont Me Biaggi, Pierre Lagaillarde, le doyen Philippe Marçais, Ahmed Djebbour, Mourad Kaouah ou Mlle Nafissa Sid Cara) siégeant alors au Palais-Bourbon, le Livre Blanc réunissant les témoignages accablants des rescapés ne fut jamais connu du public. De Gaulle interdit sa publication et fit envoyer au pilon les exemplaires déjà imprimés. Il faudrait attendre la publication en 1994 aux éditions Confrérie-Castille d’Un crime sans assassins — car les responsables et auteurs du carnage ne furent jamais jugés ni même recherchés — pour mesurer son ampleur. Mais qui s’en souciait encore ? En 1965, De Gaulle avait été aisément reconduit à l’Élysée avec plus de 55 % des suffrages.
Après cela, il pouvait se donner les gants de déclarer : « Les Pieds-Noirs, je les comprends et même je les excuse. » Le bourreau pardonnant à ses victimes, quelle magnanimité ! À rendre jaloux Augusto Pinochet, Saddam Hussein, Bachar el-Assad et maintenant Vladimir Poutine, voués à l’opprobre général pour leur inhumanité et leur génie de la désinformation tandis que chaque candidat à notre présidentielle y va de sa génuflexion plus ou moins appuyée devant « le plus illustre des Français », comme l’appelait avec dérision Alfred Fabre-Luce. Dont le livre Haute Cour (Julliard, 1962) fut lui aussi saisi et détruit, l’auteur étant poursuivi pour offense au chef de l’État et atteinte à son honneur, délits « encore aggravé par les trois crimes inclus dans l’accusation de haute trahison », rien que ça, fulmina lors du procès le substitut de la XVII° Correctionnelle. Les juges, toutefois, ne suivirent pas ces réquisitions : simplement déclarés coupables d’offense, Fabre-Luce et Julliard furent condamnés en décembre 1963 à l’amende alors très lourde de 5 000 francs, la saisie du livre étant confirmée. En toute démocratie, bien sûr.
Camille Galic, paru dans Présent le 26/3/2022.
Articles similaires