Versailles profané par le homard géant de Jeff Koons avant le tsunami de
Murakami ou le Palais-Royal banalisé par les colonnes de Buren ne sont
hélas pas les seuls hauts lieux de notre histoire à subir des modes du temps
l’irréparable outrage. La province n’est pas épargnée, les féodaux locaux
tenant à déposer leur petit étron moderniste sur les plus prestigieux édifices
dont ils ont la charge.
Avec ses nombreux jardins dans le goût de Lenôtre, ses rivières et son pittoresque « marais » en pleine
ville, Bourges est à n’en pas douter l’une des plus agréables cités françaises, regorgeant en outre de
richesses architecturales. Saint-Etienne, sa splendide cathédrale gothique à cinq nefs étagées frappe par
sa hauteur, son élégance et la beauté de ses vitraux, ses églises romanes sont du plus grand intérêt, ses
placettes entourées de maisons médiévales à pans de bois sont charmantes. Sans oublier évidemment ses
demeures seigneuriales comme l’Hôtel Cujas qui abrite le musée du Berry, l’Hôtel des Echevins
(réhabilité pour accueillir la donation du peintre Maurice Estève mort en 2001, celle-ci sans le moindre
intérêt) et bien sûr le Palais Jacques Cœur. Chef d’œuvre du gothique flamboyant construit à l’initiative
du grand argentier de Charles VII, qui ne l’occupa jamais, le roi l’ayant fait jeter en prison (d’où il
s’évada) en 1451, dix ans après l’avoir anobli.
Grandeur et décadence puisque, ayant réussi à s’évader de sa geôle, Jacques Cœur qui s’était mis au
service du pape devait mourir misérablement à Chio lors d’une expédition contre les Turcs. Grandeur et
annonce les châteaux de la Renaissance. Le Centre des Monuments nationaux a imaginé en effet d’y
déployer jusqu’en octobre les “œuvres” gigantesques de l’Helvète Christian Gonzenbach. Sous le titre
usurpé « les Echelles du Levant », une monstrueuse baleine de bois encombre la Salle des Festins dont
elle fausse les proportions, un grotesque et non moins énorme lapin de « bois, mousse de polystyrène et
peaux de lapin véritables » squatte la Salle d’Apparat, etc. Non seulement ces « créations » bêtes (bêtes
surtout à pleurer bien qu’elles soient qualifiées de « poétiques »et supposées « humaniser des lieux que le
poids de l’histoire pourrait rendre accablant ») n’ont rien à faire dans un tel lieu, mais elles en
compromettent gravement l’élégance, la beauté et la noblesse.
En fait, n’est-ce pas là l’objectif ? Faute d’espérer pouvoir égaler les
maîtres du passé, les petits marquis de l’art « comptant-pour-rien »
souillent et avilissent ce qui les a précédés, avec la complicité des
pouvoirs publics et des municipalités qui, soit par conformisme béat,
soit par intérêt, soutiennent et subventionnent ce véritable négationnisme.
Ainsi, comment Serge Lepeltier, l’actuel maire de Bourges, qui a écrit ou du moins signé un livre sur
Jacques Cœur (L’Argentier du roi, éd. Michel Lafon 1999), a-t-il pu laisser polluer à ce point ce qui fait
l’orgueil de sa ville ? A moins bien sûr que l’offense faite à Jacques Cœur ne participe d’un plan plus
large. Spécialiste des frères, Etat dans l’Etat auquel elle a consacré un livre (Albin Michel 2009), la
journaliste Sophie Coignard classe parmi les « francs-maçons de Sarkozy » le maire Lepeltier, ex-RPR,
ex-PR, ex-UDF, ex-UMP et ex-vice-président du très maçonnique parti radical valoisien aujourd’hui
dirigé par Jean-Louis Borloo. Un poste auquel il a renoncé le 9 février 2011 quand il reçut de l’Elysée la
sinécure d’« ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, en remplacement de
Brice Lalonde ». Mais le personnage reste maire de Bourges et, à ce titre, il est le premier responsable des
aberrations commises dans l’ancienne cité royale. Adepte des « musiques métisses », c’est ainsi avec sa…
bénédiction que fut organisé le 19 août un tonitruant concert de salsa aux portes de la cathédrale.
Claude LORNE