Benoît XVI : un autre signe dans le ciel ?

Que penser de l’étonnante croix de lumière apparue au milieu des nuages lors des funérailles de Benoît XVI ? Pour le théologien qui allait devenir pape, rappelle l’écrivain Henri Quantin, « plus que de savoir si un fait est reconnu ou non comme miracle, il s’agit toujours de savoir si Dieu reste Dieu ».

L’avantage avec les morts, dit-on, est qu’ils ne peuvent pas nous contredire. L’inconvénient, dirait-on aussi bien, est qu’ils ne peuvent pas nous approuver. Quand ils ont laissé des écrits, on peut toutefois y chercher ce qui confirme les idées qu’on leur prête post mortem ou ce qui éclaire les événements auxquels on les associe. Ainsi de Benoît XVI et du signe que certains ont vu dans le ciel lors de ses funérailles. Dans le ciel, donc du Ciel ?

Voir ou ne pas voir ?

Dans Voici quel est notre Dieu, interrogé sur la réalité des miracles, Joseph Ratzinger faisait preuve de son habituel équilibre entre l’aile de la foi et l’aile de la raison : « Il ne faut pas tomber dans une conception superstitieuse des miracles, comme si on pouvait en provoquer à volonté. Il ne faut pas en faire des recettes faciles », disait-il dans un premier temps. Confusion du signe divin et de l’imagerie hollywoodienne, confusion du Christ et de Gérard Majax (pardon aux jeunes générations qui ne doivent pas savoir qui c’est), confusion de l’arc-en-ciel biblique et de l’éclair sortant de la baguette de Voldemort, il y a bien là matière à un appel à la prudence. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, toutefois, n’oubliait pas de mettre en garde contre l’erreur inverse, qui réduirait par principe le champ de l’action divine : « Il ne faut pas non plus vouloir tout savoir et dicter à Dieu ce qu’il peut faire. » Nul ne peut, en effet, décréter seul les limites de la puissance du Tout-Puissant. En somme, Joseph Ratzinger révélait les deux faces d’une logique qui revient toujours à se prendre pour Dieu : voir sans examen ses signes partout ou affirmer catégoriquement qu’on n’en peut voir nulle part.

Celui qui refuse de voir tout ce qui n’entre pas dans sa vision préétablie risque fort de ne plus rien voir du tout.

Interrogé à la fin du même livre sur le renouveau de la dévotion mariale, le futur Benoît XVI suivait exactement le même cap : « Certes, il y a dans tout cela maintes formes de pseudo-apparitions et de faux messages. Il faut donc être très prudent et ne pas croire trop facilement que le surnaturel est à l’œuvre. Inversement une attitude authentiquement critique ne doit pas nous rendre imperméables à la réalité. » Celui qui refuse de voir tout ce qui n’entre pas dans sa vision préétablie risque fort de ne plus rien voir du tout. Prenant l’exemple de Lourdes, le cardinal Ratzinger notait que le refus absolu du surnaturel aurait fait rater l’événement inouï : « On pouvait d’abord croire que cette petite fille s’était créée des fantasmes. Il s’était finalement avéré que la Mère Marie elle-même s’était réellement montrée. » Bref, qui soupçonne partout l’illusion finit par perdre la richesse de la réalité elle-même.

Les miracles et la question de Dieu

En professeur limpide, Joseph Ratzinger rappelait surtout que ce n’est jamais le miracle seul qui est en jeu, mais l’image qu’on se fait de Dieu. À l’appui de cette mise au point, il racontait une anecdote mettant en scène deux théologiens protestants. Le premier, Adolf von Harnack, très libéral, avait été contraint d’accueillir à Berlin un confrère plus traditionnel, Adolf Schlatter, nommé là pour contrebalancer son influence. Contre toute attente, les deux hommes collaborèrent sans heurt. Aussi Harnack crut-il pouvoir déclarer un jour, pour souligner leur bonne entente : « La seule question qui nous sépare est celle du miracle. » Ce à quoi Schlatter répliqua : « Non, c’est la question de Dieu ! La question du miracle inclut celle de Dieu. Celui qui ne reconnaît pas les miracles a une autre image de Dieu. » En rapportant cette réponse qui le réjouissait, le futur Benoît XVI montrait qu’il ne faut pas se tromper d’enjeu. Plus que de savoir si un fait est reconnu ou non comme miracle, il s’agit toujours de « savoir si Dieu reste Dieu ». Car seul celui qui admet au moins la possibilité du miracle croit en un Dieu qui peut « de la manière qu’il veut et qui est bonne pour le monde et quand il veut, continuer à se révéler comme Créateur et Seigneur dans le monde ». Ce n’est donc que dans un double mouvement de prudence et d’ouverture aux signes célestes qu’on peut, semble-t-il, s’interroger sur l’étonnante croix de lumière apparue au milieu des nuages lors des funérailles de Benoît XVI.

« Comme une exhortation d’En-Haut »

Quant à savoir ce que le pape émérite en aurait dit s’il avait pu parler, personne ne peut évidemment le dire. En revanche, on peut se souvenir qu’il commenta de son vivant un autre possible signe céleste dont il aurait été le destinataire.

Au moment où le vieil archevêque m’imposa les mains, un petit oiseau, sans doute une alouette, s’éleva du maître-autel dans la cathédrale

La scène eut également lieu lors d’une messe — moment privilégié, il est vrai, pour unir le ciel et la terre — sa messe d’ordination. Dans Ma vie, souvenirs 1927-1977, il évoque l’épisode ainsi : « Au moment où le vieil archevêque m’imposa les mains, un petit oiseau, sans doute une alouette, s’éleva du maître-autel dans la cathédrale et lança des trilles en un chant d’allégresse ; ce fut pour moi comme une exhortation d’En-Haut. »

Rien de spectaculaire ici : pas de grondement céleste ou d’effet tape-à-l’œil, mais un signe qu’on est tenté de trouver d’autant plus surnaturel que rien n’est fait pour lui en donner l’apparence. « Comme une exhortation d’En-Haut », dit Joseph Ratzinger, et on admire l’humilité de ce « comme » qui glisse une prudence pudique dans l’action de grâce. Sans doute celui qui ne s’est jamais rendu « imperméable à la réalité » n’a-t-il pas besoin de signes plus parlants qu’un oiseau qui chante en s’envolant vers le ciel. Ce signe-là, du moins, est approuvé par celui qui le raconte et semble bien à l’image de « l’humble serviteur dans la vigne du Seigneur ». Cela n’empêche pas, bien sûr, que Dieu puisse envoyer les signes qu’il veut et qu’il y ait toujours quelque présomption à trancher sur ceux qui sont censés le mieux Lui ressembler.

Aleteia

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