Alexis Jenni L’ART FRANÇAIS DE LA GUERRE
Le récit commence au fond d’un lit : enfoui sous sa couette grâce à un faux arrêt-maladie, le narrateur suit d’un œil distrait la Guerre du Golfe de 1991, relevant avec surprise la présentation sympathique du départ des soldats français à la télévision. Anti-militariste et anti-colonialiste forcené, ce héros « houellebecquien », en pleine déchéance sociale, va rencontrer, dans le bistrot de ses cuites solitaires, un ancien officier parachutiste d’Indochine et d’Algérie, Victorien Salagnon, et va s’atteler, à sa demande, à l’écriture des mémoires de ce soldat. Il apprendra en échange auprès de lui l’art de peindre à l’encre. S’ensuit un double récit alternant l’épopée guerrière de Salagnon, du maquis jusqu’à l’Algérie, et les aventures pitoyables du narrateur à Lyon.
Passionnante plongée dans les méandres filandreux de la pensée gauchiste, où les inexactitudes historiques se mêlent aux contradictions philosophiques pour déformer la réalité à son gré.
De temps à autre, surgit une vision originale, une remarque amusante.
Ainsi : « le génie français construit ses lois comme il construit ses villes : les avenues du Code Napoléon en constituent le centre, admirable, et autour s’étendent des bâtisses au hasard, mal faites et provisoires, reliées d’un labyrinthe de ronds-points et de contresens inexplicables ».
Ou encore : « De Gaulle, ce menteur flamboyant, qui nous fit croire par la seule plume, par le seul verbe, que nous étions vainqueurs alors que nous n’étions plus rien ».
Hélas, les propos de bon sens sont généralement le fait des vilains de l’histoire, notamment les frères d’arme de Salagnon ; ou le grand-père du narrateur, féru de généalogie, qui essaie en vain de transmettre à sa descendance l’importance du sang et de la lignée.
De son propre aveu, Alexis Jenni, réformé P4, ne connaît rien à la chose militaire, sauf par les films dont il se dit friand. De fait, ses connaissances cinématographiques se révèlent à chaque page : de la moiteur tropicale de la jungle indochinoise à l’aridité du djebel, les récits les plus convenus sur les guerres coloniales sont (très !) directement inspirés de la filmographie idoine : on reconnaît sans peine des scènes entières de la Bataille d’Alger, Avoir 20 ans dans les Aurès, l’Ennemi intime. Avec de telles références, le ton est donné !
L’art français de la guerre, qui est en fait l’art de perdre toutes les guerres, c’est l’usage de la force (de façon arbitraire et inconsidérée) et de la torture (idem !).
Un parallèle constant est établi entre la répression des maquisards par les Allemands, la lutte contre le Vietminh et la répression du FLN par les Français. Dans les trois cas, la supériorité des techniques et des armes, comme la pratique de la torture, n’ont été, pour Jenni, d’aucun effet pour entraîner la victoire.
La mauvaise foi de l’auteur s’emballe pour décrire la bataille d’Alger : « ce fut un succès éclatant qui prépara l’échec de tout ». Si aucun détail ne nous est épargné sur les techniques d’interrogatoire des parachutistes, rares sont les descriptions des exactions du FLN, toujours au mode passif (« des bombes explosaient dans Alger », la bataille prit fin « quand plus aucune bombe n’explosa dans Alger »).
Alexis Jenni voit dans la « militarisation du maintien de l’ordre » dans les cités la prolongation de cette guerre coloniale, et amène le lecteur à penser aux démonstrations de force des paras à Alger à chaque contrôle d’identité, « comme là-bas ». Après avoir affirmé qu’aucun des 24 000 interrogatoires n’avait entraîné l’arrestation d’un seul poseur de bombes à Alger, l’auteur présume de même qu’aucun des contrôles d’identité n’amène la découverte d’un délinquant.
Visiblement impressionné par l’allure athlétique des jeunes policiers, l’auteur évoque en leitmotiv son obsession du contrôle d’identité au faciès : « enfermé dans ma physiologie, on ne me demande rien »
Autre obsession : l’identité, le sentiment d’appartenance, la race, mot honni qui recouvre pourtant une certaine réalité… « A demi-mots, l’étude des molécules et de leur transmission semble confirmer l’idée de race. On n’y croit pas, on la désire, on la chasse. Et l’idée revient encore, tant est puissant notre désir d’ordonner les mystères confus de la ressemblance ». Bien qu’il s’en défende, le Narrateur ne peut s’empêcher de noter son malaise au milieu de ces foules bigarrées et voilées, « tous ces gens qui se ressemblent entre eux et ne me ressemblent pas », dont il ne comprend ni la gestuelle ni le langage.
De mauvais gré, le narrateur constate que dans les affrontements entre jeunes et policiers, les protago – nistes s’organisent par race, par couleur, comme lors des émeutes de mars 2007 à la Gare du Nord.
Grand moment de désinformation que l’évocation de ces émeutes, déclenchées par l’interpellation d’un voyageur sans billet : pour Jenni, le jeune Congolais interpellé tentait d’expliquer à un contrôleur borné qu’il venait de jeter son ticket par terre et proposait d’aller le chercher ; le ton a monté, et inexplicable – ment, cela a dégénéré en bataille rangée entre une centaine de « jeunes » et les forces de l’ordre.
Rappelons la déclaration du ministre de l’Intérieur François Baroin, lors d’une visite de soutien aux policiers de la gare du Nord : tout est parti du « contrôle d’une personne qui est un multirécidiviste, entré illégalement sur le territoire, avec vingt-deux dossiers de violences volontaires ».
Dernier exemple de ce manichéisme odieux et systématique : l’évocation du braquage du casino d’Uriage le 16 juillet 2010 : « au départ, pas grand-chose : le braquage d’un casino (établissement qui s’attend à l’être !). Cela tourna mal : le bandit fut mort. S’il ne s’était agi que d’argent, on n’en aurait plus parlé. Mais on signala son lignage », ce qui provoqua plusieurs jours d’émeute dans sa cité natale. Pas grand-chose, en effet, juste une fusillade au PM sur des policiers !
Tant d’efforts méritaient bien une récompense : les jurés du Goncourt ne s’y sont pas trompés !
Et quel jury !! Régis Debray, Didier Decoin, Tahar ben Jelloun, Patrick Rambaud, notamment ont voté pour ce livre.
Si l’on suit la logique de l’auteur jusqu’à son terme : mal intégrées dans une société raciste, les populations africaines et maghrébines vont manifester leur exaspération par des émeutes toujours plus violentes. Et pour rétablir l’ordre, on fera appel, comme là-bas, à une police sur-équipée et militarisée, qui tentera de pacifier les territoires insoumis par une chasse au faciès et un usage inconsidéré de la force, provoquant ainsi davantage de haine. Et, comme là-bas, nous échouerons et nous perdrons cette guerre civile. Qu’est-ce à dire ? Qu’il nous faudra fuir, comme jadis les pieds-noirs et les harkis ? Mais pour aller où ??
ATHENA
editions Gallimard
L’antidote : je viens de prêter « Cette Haine qui ressemble à l’amour » de Jean Brune à un ami. Il en sort éclairé.
Autres titres choisis sur demande.
Merci pour cette remise en place de ce qui touche au Goncourt (à tous les sens du terme).
En refermant ce dernier « Goncourt », sentiment mêlé de soulagement (« enfin! » car c’est trop long), de dégoût, de malaise… A croire qu’après LES BIENVEILLANTES, le jury de ce prix littéraire a cherché un produit aussi insidieux, mais (un peu) moins scatologique… Ce livre est politique. Le mensonge, servi par une plume riche, s’insinue par le fait d’une base de départ tronquée, sur laquelle s’échafaudent des théories qui paraissent cohérentes, et comme toujours baignées d’un « politiquement correct » de bon aloi. Bref, rien de neuf de la part du courant de pensée dont se réclame l’auteur, qui ferait bien de visionner l’excellent film de Philippe Delarbre « Le Sacrifice, Diên Biên Phu 1954 », pour son édification personnelle…
Comme en écho à ce noir bouquin aussi pessimiste que sordide, je recommande la (re)lecture du SOLEIL DES MORTS de Bernard Clavel.
Et pour rassurer les esprits inquiets que le titre accrocheur pourrait avoir destabilisés, je maintiens qu’il existe bien un art français de la guerre, un vrai, toujours enseigné dans nos belles écoles, et qui n’a rien à voir avec ce que décrit Jenni!
Il y a réellement un art français de la guerre. En ce qui concerne les guerres coloniales la doctrine française tenait en deux principes : la tache d’huile (voir « le rôle social de l’officier » du maréchal Lyautey et « la guerre moderne » du colonel Trinquier) et chercher l’ennemi là où il se trouve . Cette doctrine a eu du succès et cela depuis le temps des Rois. Dailleurs l’Anglais Robert Clive en a appliqué les principes pour conquérir les Indes. Et comme il l’a dit lui-même : « Protectorate instead of colony. That’s a good policy. » (Protectorat au lieu de colonie. Ca c’est une bonne politique).
En Afghanistan nos soldats font ce qu’ils peuvent dans un contexte défavorable. Lorsqu’ils pacifient une région, l’administration afghane prend le relais et la corruption s’installe. Si bien que nos soldats ne sont plus perçus que comme des envahisseurs. A cela s’ajoutent des choses pernicieuses. Je prends l’exemple du close combat. Avant l’armée française avait un excellent entrainement dans ce domaine. Et puis on s’est dit qu’on était pas des sauvages, qu’on était civilisé et qu’on avait assez torturé en Algérie. Et on est passé du close combat au CAC (corps à corps),système moins élaboré que le close,mais ça tenait la route. On procède par petites touches pour ne pas brusquer les gens. Maintenant on a le TIOR (Techniques d’intervention et le reste je ne m’en rappelle plus – c’est vous dire à quel point le TIOR m’a marqué). Honnêtement c’est un bon système. Pour des policiers… Pas pour des militaires. On voudrait transformer nos soldats en baby-sitters qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Le résultat on l’a vu. Dans une embuscade avec un corps à corps on a laissé dix soldats. En face il y a des Talibans qui font la guerre sans s’encombrer de tout un fatras pseudo-humanitaire.