Pourquoi tous ces massacres dans des salles de spectacle? Réponse d’une philosophe :
Pourquoi La cultuerie de masse ?
La rédaction de ce livre (et son titre) s’est imposée à moi quelque temps après l’attentat du Bataclan.
La stupéfaction, la compassion, l’indignation ont creusé une question lancinante qui a trouvé avec ce livre et ses hypothèses un embryon de réponse.
L’intuition insistante que la pulsion de mort s’était emparée de notre culture et qu’un processus épouvantable destinait à la destruction ses spectateurs et ses acteurs, ce, par des voies diverses mais également efficaces.
Ce processus est-il répressible ? J’ai bien voulu le penser malgré tous les signes du puissant désastre en cours, j’ai imaginé une échappée possible par un retournement vers la culture et ses racines, qui sont éthiques et spirituelles. Une culture qui ne vise plus les valeurs réelles, qui ne tend plus vers le beau et le sublime, qui n’exalte plus l’héroïsme et l’amour est une culture de mort.
La cultuerie trouve avec l’attentat l’acmé de son processus. On pourra m’objecter la contingence de l’attentat, la logique terroriste qui le sous-tend. Il n’en est pas moins pas vrai que sa perpétration dans un lieu dit « culturel » manifeste une assomption et fait comme un signe de bouquet final.
Pourquoi ? Une logique infrastructurelle fait de l’attentat le point final d’un processus qui sacrifie l’une après l’autre les composantes de la culture : l’aspiration spirituelle, la valeur morale des contenus garantie par la pénétration du beau, la dignité et la reconnaissance des interprètes, la sécurité du public. Il ne manque plus qu’à sacrifier ce dernier après avoir compromis et comme soudoyé les artistes qui ont accepté de renoncer à la destination de l’art. Les autres (artistes) ayant été éliminés par les réformes et les révolutions culturelles ou par les lois libérales du marché. Deux monstres, en effet, accompagnent alternativement la cultuerie : l’idéologie niveleuse ou l’argent sans maître.
La vraie culture, grâce aux beaux-arts, endigue les pulsions destructrices, elle sublime les horreurs qu’elle peut éventuellement montrer, grâce à la catharsis, les spectacles nous purgent des passions les plus hostiles.
A l’issue d’un spectacle, nous sortons libérés d’une tragédie possible, nous avons vécu les tribulations des protagonistes et il en va de même au terme de la lecture d’un roman, d’un poème, de l’audition d’une symphonie. Que de drames possibles, que de souffrances (et de joies) évoquées ! Le « plaisir » esthétique ne se réduit pas au divertissement, il nous porte bien au-delà de la jouissance. Il nous élève et nous prémunit.
La cultuerie de masse déstructure et tue en masse. Elle massifie pour davantage et mieux tuer. Elle tue l’artiste dont elle détruit les motivations les plus hautes, elle abrutit le public et le détourne de la considération lucide de l’existence. Elle distrait, divertit, déstabilise. C’est alors le règne de la subversion, de l’éclatement, de l’ubris catastrophique.
Il m’a paru urgent d’identifier la force qui tirait avec elle cette mascarade sanguinaire, l’allégorie de la cultuerie de masse m’a paru convenir. Plutôt qu’identifier des coupables humains, ministres ou businessmen, j’ai préféré exhiber un composé de Thanatos et de Chaos. Parce que nous sommes tous les victimes actives ou passives de ce monstre hybride, né de notre inertie et de notre perversité. Si le mal investit totalement la culture, nous n’aurons plus de moyen pacifique de nous sauver. Il se déclarera alors une guerre dont nous n’imaginons pas les formes insidieuses mais dont l’Humanité est certainement l’enjeu.
J’espère que les lecteurs de ce livre pourront identifier la cultuerie de masse derrière les masques démocratiques ou esthétiques qu’elle sait emprunter. Ils sauront alors dénoncer un processus qui passait plus ou moins inaperçu.
Martine Chifflot
20 septembre 2017
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