Des larmes ont souvent coulé, notamment ces extraordinaires passages de la fin où le fils interroge sa mère : sublime. Je n’ai plus la force de vous en faire ici un commentaire dont les mots m’ont échappé, l’intelligence admirable du récit, sa profondeur, la beauté des sentiments, les questions majeurs qui se posent. Je lis mais avec mes lèvres, témoins silencieux devant (j’ose le mot) ce chef-d’oeuvre. Dieu a du vous injecter des doses d’inspiration. Il m’a fait le coup autrefois. J’ai prêté votre livre à un ami, qui l’a prêté à un autre, et le livre ne m’est pas encore revenu, mais mon téléphone sonne souvent ; l’admiration et la sidération sont générales. »
Je me suis battu et je me bats toujours pour faire lire « Le Journal d’Anne-France » à des personnes susceptibles par leur goût et leur position de l’apprécier et de le faire connaître, la plupart du temps, en vain. À croire que les barons de banlieues et les petits marquis ont des pudeurs que le Roi lui n’a pas. Cher Jean, cher ami, sachez de là-haut qu’il ne se passe pas un jour sans que je repense à votre lettre, à ce geste élégant et noble – signature des êtres supérieurs – dont vous ne pouvez pas ignorer l’effet formidable qu’il a produit sur moi, puisque c’est pour cela que vous l’avez fait. Votre plume bienveillante et paternelle s’est posée sur mon crâne tourmenté comme une épée, et si mon statut social lui n’a pas bougé, mon âme, elle, a été adoubé pour toujours.
Cher Jean, vous m’avez invité un jour à partager un whisky chez vous. Je n’ai pas pu m’y rendre. Je le regrette amèrement aujourd’hui. Mais si face à l’éternité, la vie humaine n’est qu’un battement de paupière, ce n’est donc pas adieu que je dois vous dire et je ne dois pas pleurer. Je dois, bien au contraire, me réjouir et vous dire : « Mon ami, à tout de suite ! »
Le Grand Duc d’Europe est mort. Dans mon coeur, c’est Notre-Dame qui brûle une seconde fois. Un Raspail s’éteint, mille racailles s’éveillent. C’est encore et encore du talent, du panache, de la noblesse, bref de la France en chair et en os qui quitte notre monde sans retour.