Le vrai malheur de bien des femmes par le père de Kergorlay
Mesdames et messieurs les élus,
Voilà 35 ans que j’accompagne des femmes en détresse : hébergement, suivi juridique et social, soutien moral et spirituel.
J’aurais souhaité de votre part une loi protégeant les femmes vulnérables contraintes à l’avortement, soit par violence physique, soit par harcèlement moral, soit par emprise psychique. Et leur nombre va croissant.
La problématique sociale est tout autre que dans les années 60, et les aiguilles à tricoter ne sont plus un problème majeur.
Aujourd’hui, on assiste à une forte hausse de l’IVG et un écroulement de la natalité. Promouvoir l’un et négliger l’autre, c’est se tromper d’époque.
Aujourd’hui, il y a des problèmes plus graves qui sont mal traités : les scandales de l’Aide Sociale à l’enfance, la lutte contre l’inceste, l’effondrement des Urgences, le naufrage de la psychiatrie. On se donne bonne conscience en ressuscitant des luttes passées.
Des femmes et des enfants en difficulté, j’en ai accompagné des centaines, peut-être des milliers. Une partie de mon ministère est de recueillir des femmes enceintes que l’Etat ne sait plus ou ne veut pas protéger. Elles n’ont pas les honneurs de la Constitution !
Quelques cas d’avortements imposés fréquemment rencontrés :
– des jeunes filles forcées par leur famille : « Pas d’enfant hors mariage ; avorte ou dégage », « Passe ton bac d’abord. Tu ne peux pas être mère » ;
– des femmes contraintes par des compagnons, souvent violents, qui veulent coucher avec elles mais pas s’encombrer d’un gosse ;
– des femmes sans papiers, exploitées par un réseau de drogue ou de prostitution, qui ne veulent pas que leurs esclaves soient occupées par la présence d’un enfant avant ou après naissance ;
– enfin, à mon regret, des pressions exercées par des personnels hospitaliers ou sociaux sur des femmes en situation précaire.
L’expérience des Tribunaux m’a révélé que si les violences directes sur les femmes retenaient souvent l’attention des juges, l’avortement forcé ne comptait pas pour eux.
Parler de consentement parce que l’avortement serait un droit est une sinistre farce.
Sacraliser l’avortement en l’insérant dans la Constitution sans garde-fous contre les contraintes, c’est méconnaître la détresse des femmes et se faire complice de ceux qui les harcèlent. Sur le terrain, je m’intéresse plus aux femmes comme personnes qu’à un soi-disant « droit » qui cautionne les agressions qu’elles subissent.
Et puis, comment peut-on encore parler sérieusement de valeurs républicaines quand tous les êtres humains ne sont plus égaux devant le droit à la vie ?
Certains sont éliminés, d’autres sélectionnés selon le bon plaisir des adultes.
La science nous indique aujourd’hui qu’il y a une continuité totale avant et après la naissance de l’enfant, et donc, comme le disait la loi Veil dans son prologue, toute vie humaine doit être respectée dès sa conception. Cette loi de 1975 visait à médicaliser un acte qui restait répréhensible pour éviter des complications sanitaires et diminuer à terme le nombre d’avortements. Rien à voir avec une inscription d’un soi-disant droit dans la Constitution. Ceux qui voteraient une telle mesure devraient décider de faire sortir Mme Veil du Panthéon.
Enfin, vous savez que cette sacralisation de l’avortement heurte de plein fouet la plupart des traditions religieuses. C’est bien leur faire signe qu’elles n’ont plus leur place dans l’actuelle République. Qu’ils s’y résignent ou non, beaucoup de croyants ont bien compris qu’ils étaient des citoyens de second rang. Voilà qui fragmente un peu plus la société française.
Les lois qui sont envisagées sont marquées par une pulsion de mort et de rejet, qu’il s’agisse des enfants avant la naissance, des personnes en fin de vie ou des étrangers, en attendant que ce soit le tour des handicapés mentaux ou des dépressifs.
Il y a des regards qui excluent, tuent et désespèrent. Tel semble être le regard de l’actuelle « République » sur les plus faibles.
Quels que soient les sarcasmes ou le mépris que nous subissons, pour nous catholiques, tout être humain est créé « à l’image de Dieu » et suppose un respect inconditionnel. Le Dieu de Jésus Christ s’est identifié au plus vulnérable par la Croix, supplice de mort et de honte infligé par les gouvernants à ceux qu’ils considèrent comme « animaux humains ».
Si la Constitution est altérée comme on veut le faire, nous ne partageons plus la même idée de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Et les valeurs républicaines seront un mensonge et une hypocrisie, inconciliables avec les valeurs de la France.
Philippe de Kergorlay, prêtre catholique depuis 40 ans
Ancien aumônier de prison, de psychiatrie, d’hôpital et de lycée,
Ancien curé de banlieue,
Responsable d’association au service des femmes en précarité, aujourd’hui en charge de réfugiés en Turquie et en Grèce.
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