La clairvoyance de Murray sur les mensonges médiatiques

Sur l’excellent site Le rouge et le noir j’avais apprécié ce texte de Philippe Murray .À la suite de la renonciation du Saint-Père, nous vous proposons de revenir sur la réception de son élection grâce à un article rédigé par l’écrivain, extrait de ses Exorcismes. Il est toujours d’actualité en ces temps de nouvelles élections.

Le pape

La plupart de ceux qui font l’opinion ne sont pas contents de l’élection du nouveau pape. Pas contents du tout. Une telle « figure emblématique du conservatisme doctrinal », un tel « prince de l’Église, intransigeant et réactionnaire », on s’en serait bien passé. Il a tout pour déplaire. On aurait souhaité un pape moins « rétrograde ». Plus « proche des gens ». plus « en phase avec la société ». Avec les mille et une merveilles de la société. Avec les sortilèges du monde contemporain et les incontestables prestiges des mœurs du siècle. Comme l’écrit ces jours-ci, sous le coup d’une forte indignation, une élue apparentée PCF de la mairie de Paris, ce nouveau pape « ne passe pas ». Ce nouveau pape est un scandale, un affront, une effronterie. Quelques-uns, également sous le choc et à peine moins hostiles, voudraient tout de même croire que la fonction créera l’organe et que l’Esprit Saint frappera de son aile gauche ce pontife de droite. J’ai même entendu un catholique de progrès assurer que Dieu, à ce Ratzinger si suspect devenu Benoît XVI, saura montrer la juste voie et le convertira à la vraie religion révélée : celle du Moderne en majesté [1].

C’est la sagesse même. Il nous faut un pape en phase. Un pape à la botte, au pied, aux ordres, aux mots d’ordre, un pape qui file doux et qui respecte les nouveaux règlements. Les nôtres. Un pape qui lâche ses bondieuseries pour notre eau bénite et ses patenôtres transcendantes pour nos homélies multiculturelles. Un pape qui, cessant de bêtement parler des « errances de la modernité », nous soigne dans nos divagations divines. Un pape à roulettes et en culottes courtes. Un pape citoyen. Un pape qui sorte du Saint-Siège, une bonne fois, en poussant le cri primal, pour n’y plus jamais revenir. Un pape qui dégraisse la doctrine, dépoussière le Vatican, se batte pour la légalisation de l’euthanasie, prenne fermement position en faveur de la procréation assistée comme pour le mariage des prêtres et l’ordination des femmes. Un nouveau pape comme il y a les nouveaux pères, un pape qui porte le petit Jésus sur son ventre, dans un sac comme les mamans kangourous (« Habemus mamam ! »).

Un pape vigilant sur le respect de la laïcité. Un pape qui proteste avec nous contre la mise en berne des drapeaux de la République en hommage au pape défunt. Un pape qui participe aux fanfares de soutien à Florence Aubenas et s’occupe de lâcher des ballons plutôt que de promulguer des bulles. Un pape, qui milite pour les couloirs de bus, la candidature de Paris ville olympique en 2012 et l’opération « ici c’est 100% sans tabac » (s’il pouvait, par la même occasion, nous donner un petit coup de pouce pour faire un peu remonter le oui à la Constitution européenne, ce ne serait pas plus mal). Un pape soucieux, de l’amélioration de la qualité de l’air. Un pape résolument décidé à laisser tomber ses lamentables discours normatifs sur le sexe pour rejoindre les nôtres. Un pape conciliant et pas conciliaire. Un pape bon apôtre, en somme, et conscient de tous les chantiers prioritaires qui l’attendent. Un pape d’époque. Un pape comme l’époque. Un pape-époque. Un pape-société.

« Socio subito ! » Tel est le hurlement poussé, de toute la force de leurs poumons, par ceux qui ont souffert pendant quinze jours de voir leurs programmes de télévision bousculés, comme ils disent, par la mort de Jean-Paul II puis l’élection de son successeur, et qui ne se remettent pas d’avoir entendu, le jour de l’enterrement du Saint-Père, tandis qu’un vent de Tintoret faisait tournoyer les robes cardinalices, cet appel immense jailli de la foule : « Santo subito ! » lls en sont encore malades. Ce traumatisme, ajouté à celui de l’élection de Ratzinger, n’en finit pas de les poursuivre. Non, décidément, ce Benoît XVI ne passe pas, il est inadmissible. Par chance il est vieux, il ne durera pas, c’est un pape de transition : espérons qu’il transira vite et attendons le suivant. Nous voulons un pape comme nous, pas un pape papiste ou papophile, un pape papophobe, non papolâtre ou papocrate. Un pape modeme. Un pape comme la société moderne. Un pape identique à celle-ci, tellement semblable à elle et aux éloges qu’elle tient sur ses innombrables métamorphoses qu’on ne l’en distinguera plus le moins du monde.

Pourquoi ne pas l’élire nous-mêmes ?

Philippe Muray

Et le site ajoutait en notes:

NOTES

[1] « La presse n’aime pas le « berger allemand » », titrait Libération au lendemain de l’élection du cardinal Joseph Ratzinger ; et c’était là encore une très bonne nouvelle, quand on se souvient que cette presse, qui n’aime pas Benoît XVI, aime en revanche beaucoup de choses peu appétissantes, notamment l’Europe, à laquelle les peuples français et néerlandais, sourds aux conseils unanimes de cette bonne presse, devaient si vite et si résolument faire le sort que l’on sait. Une autre bonne nouvelle résidait dans le cri poussé au même moment par Clémentine Autain, évoquée dans cet article : Non le Pape ne passe pas. En effet. Mais Clémentine Autain est déjà passée, et c’est encore là une très bonne nouvelle (juin 2005).

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