Un prêtre est mort. Nous sommes orphelins.
De Marion Duvauchel, professeur de Lettres et de philosophie :
Le 4 juillet dernier, le journal la Vie faisait paraître un article intitulé : Crise de l’autorité dans l’Église : cette lame de fond qui vient.
Ce n’est pas une lame de fond qui vient mais un effondrement programmé et généralisé dont la ruine financière prévisible n’est que la forme visible d’une défaite spirituelle, morale et intellectuelle. Une défaite de la pensée et de la foi qui s’est initiée dans la moitié du XIXe siècle avec Renan, Loisy et toute la recherche historiciste allemande, essentiellement protestante, que l’on s’est empressé de copier en France. On a appelé ce moment « la crise moderniste ». Tout cela a fait l’objet d’une condamnation solennelle par Pie IX et Vatican I : quelques pages solides et documentées à lire ou relire.
Ce que va faire Vatican II, c’est porter dans la pastorale, la catéchèse, dans l’esprit même, la fracture qu’annonçait le modernisme mais qui concernait surtout la sphère intellectuelle. Seuls deux laïcs ont assisté aux débats de Vatican II : Jean Guitton et Jacques Maritain, tous deux philosophes. L’obédience (et aujourd’hui les obédiences) dite Tradie est née de ce pan d’histoire.
Un prêtre vient de se suicider. C’est un drame qui ne frappe pas seulement ses paroissiens mais aussi ses proches. Car un prêtre a une famille, des frères, des sœurs, des parents peut-être encore vivants, des neveux et des nièces, des cousins avec lesquels il a pu grandir. Mais il existe un attachement profond et un lien singulier entre un prêtre et ceux qu’il guide, enseigne et soutient spirituellement. Et à qui il pardonne beaucoup, beaucoup, beaucoup…
C’est peut-être l’occasion de rappeler que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Il y a une vingtaine d’années, dans l’un de ses emportements inspirés, Pierre Chaunu rappelait qu’on comptait 11 000 suicides de jeunes par an. J’ai cherché les chiffres d’aujourd’hui, je n’ai rien trouvé. Aujourd’hui grâce aux efforts de notre médecine et de nos politiques avisés, ce sont les enfants que ce fléau touche. Les enfants !
Le terme de « gouvernance » est récent. C’est un concept qu’on est allé chercher pour éviter de poser les problèmes de la seule manière qui permette un début de solution : clairement voire crûment.
Le pape ne gouverne pas les évêques. Le Vatican, fruit de la contingence de l’histoire est un territoire et il est bon que le pape ait un territoire. Le saint Siège est un organe temporel, médiateur entre le spirituel et le temporel. Il représente l’Église du Christ devant les Institutions, donc le message du Christ dans un monde pour lequel il est devenu inaudible, même présenté dans une langue intelligible. L’intervention récente du pape qui a suspendu des ordinations dans le diocèse de Toulon traduit une ingérence regrettable. Mais il y a sans doute sous cette affaire l’hostilité d’évêques qui n’ont pas de vocations dans leur diocèse et qui ne pardonnent pas la liberté dont Mgr Rey a pu faire preuve dans les questions d’éthique.
Le problème des Évêques de France n’est pas un problème de gouvernance. Ils ont perdu toute capacité d’expression, donc de liberté depuis qu’ils parlent tous d’une seule voix à travers leur fameuse Conférence (la CEF). Les positions prises sur des questions centrales ces dernières années témoignent simplement de leur lâcheté. J’ai raconté il y a quelque temps l’histoire de cette CEF. Au moment où j’écrivais, leur site se présentait comme le site officiel de l’Église catholique et j’y avais relevé des propos littéralement hérétiques. Le site a été fermé trois jours après la parution de cet article sur le Salon beige, que je remercie.
L’article de la Vie évoque la fragilité de nos prêtres, études à l’appui. C’est une plaisanterie ?!!
On se doute de ce qui est sous-entendu : le mariage résoudrait tous ces problèmes de fragilité. Soyons sérieux, si le mariage avait une quelconque puissance thérapeutique, on n’aurait pas tous ces divorces, tous ces adultères, toutes ces familles recomposées, tous ces drames violents rapportés dans les rubriques de faits divers.
Il y a autant de profils de prêtres qu’il y a de prêtres. Ils viennent d’univers familiaux, de milieux, de terroirs différents – il y a les Creusois peu démonstratifs et les Méridionaux expansifs ; ils ont eu des parcours de conversions et des expériences spirituelles différenciées : certains en parlent volontiers, d’autre pas ; ils ont un mode de prédication, une façon d’être au monde qui leur est propre, comme chacun de nous, du moins quand ils sont eux-mêmes et non pas une sorte de modèle de perfection imaginaire et imaginé.
Nos prêtres sont forts, ils ont de la force parce que cette force s’appelle le « souffle de force », l’un des dons du Saint Esprit qui vient dans une psyché humaine pour l’éclairer et la pacifier. Ils ont des moments de doute, de lassitude, de solitude, comme chacun d’entre nous, marié ou pas quand il a un peu de profondeur et d’épaisseur dans la vie intérieure, pour ne pas dire spirituelle ; ils sont ligotés par leur hiérarchie et ont fait vœu d’obéissance, ils ne peuvent donc pas se soustraire à une demande, qu’on espère raisonnable, rationnelle et avisée. Ils sont tenus par la charité ou l’idée qu’ils en ont d’écouter tout un tas de geignards, de vaniteux, de gloseurs qui viennent même parfois leur expliquer leur travail.
Nos prêtres ne sont pas fragiles, ils sont fragilisés par des paroissiens qui n’ont pas la foi, qui ne s’aiment pas, par des instructions contradictoires, par une charge de travail lourde et par l’état de l’Église et des paroisses. Et aussi par une presse hostile, inculte et mensongère qui ne comprend absolument rien non seulement à la grandeur du sacerdoce mais à sa spécificité et à sa nature ; qui continue de relayer l’idée que le rapport Sauvé donne une idée juste des errances et infamies de certains prêtres et que toute l’Église n’est qu’un repère de névrosés dangereux.
Nos prêtres ne sont pas fragiles, ils sont fatigués. Certains sont des gestionnaires de paroisses moribondes. On les envoie là comme du temps de la Sollac, ce grand site sidérurgique de Lorraine, quand le responsable formation me disait qu’il en gérait la fermeture. D’autres ont des paroisses verrouillées par les punaises de sacristie qui officient depuis 40 ans, inamovibles donc (les Vestales comme les appelle joliment un prêtre plus charitable que je ne le suis). D’autres ont des paroisses dites « vivantes » : ils délèguent et sont débordés, ils n’accueillent plus, les autres non plus, laïcs en responsabilité ou laïcs tout court, on joue à guichet fermé.
Surtout, nos prêtres sont des hommes qui ont suivi sept ans de formation. Pas seulement intellectuelle ou spirituelle, mais aussi ascétique. Ils mènent pendant sept ans une vie qui les prépare à leur futur ministère : ils prient, ils psalmodient, ils ont des « habitus » que seuls ont encore les moines contemplatifs. Ils ont réfléchi à leur ministère, à leur foi, à leur choix, à l’appel qu’ils ont entendu et auquel ils ont répondu. D’où l’importance des communautés de prière, qui constituent un contrepoids, pas toujours suffisant, imparfait mais réel.
S’ils sont fragilisés, c’est à cause de tous les coups qui ont été portés depuis des décennies contre l’Église, donc contre eux au premier chef, puisqu’ils lui ont donné leur vie, en tant qu’elle est le corps du Seigneur, dont le Christ est la Tête. S’ils sont fragilisés, c’est aussi parce que le cœur de leur sacerdoce n’est non seulement pas compris mais il est oublié, comme en témoigne l’auteur de l’article en question.
La vocation du prêtre n’est pas en effet de porter l’espérance chrétienne au monde, cela c’est d’abord le rôle du laïc, qui de ce côté là ne brille ni pas son action, ni par son efficacité. La première vocation du prêtre c’est de célébrer l’eucharistie, parce que chaque fois que ce sacrifice est opéré, il est efficient et donc il enlève vraiment le péché du monde, péché toujours actuel et si l’on en croit saint Augustin, et dont le poids augmente avec l’histoire. Le péché du monde : cette somme d’infamies, de turpitudes, d’horreurs, de crimes, d’actes d’une effroyable laideur qui dénaturent la nature humaine et qui décrée le monde créé, confié à l’homme par le Créateur. L’Eucharistie on l’oublie trop souvent a une efficacité vraie, elle enlève le péché du monde, incessamment, jusqu’au dernier jour, pourvu que l’Église continue de célébrer ce sacrifice, donc pourvu qu’elle ait des prêtres. L’Église est une matrice à générer de la sainteté, et au sein de ce corps, de faire surgir ces vocations singulières à la prêtrise ou à la vie consacrée.
Contrairement à ce que dit l’article de La Vie, il y a des quantités de gens dans l’Église qui se portent on ne peut mieux : ils écrivent des billets d’humeur dans les diaconies, président aux associations diaconales, ils se pavanent dans les structures diocésaines, ils sont aux premiers rang des réunions synodales, tous lieux qui sont des enjeux de pouvoir pour tout ce personnel de l’Église, prêtres y compris.
Nos prêtres sont des types solides qui subissent des assauts sans pitié, assauts qui viennent du monde mais aussi de cette église intramondaine, bavarde, inculte, murmurante, vaniteuse et qui parfois vient même leur dire ce qu’ils doivent dire et la durée de leur homélie (pas plus de 7 mn ai-je entendu un jour une paroissienne dire le plus sérieusement du monde) ; assauts qui viennent aussi de celui qui hait l’Église : le démon. Car n’en déplaise aux sceptiques de toute obédience, dont ceux qui ont oublié les paroles du baptême, il n’y a pas que les pompes et les œuvres de Satan, il y aussi sa fausse lumière et ses assauts.
Amen, (formule d’insistance araméenne) nos prêtres sont des types d’une grande solidité pour endurer tout cela et pardonner inlassablement.
Et puis, il y a ceux qui un jour n’ont plus la force.
Que Dieu pardonne à tous ceux qui ont contribué, de quelque manière que ce soit, à conduire un homme de Dieu sur le versant du désespoir.
Sans la Miséricorde du Christ, qu’adviendrait-il de nous ?
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